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les courtes compositions de Schubert sont assurément, avec la « scène du jardin » de Schumann, les plus fidèles en même temps que les plus discrètes enluminures du dessin poétique. Elles rappellent, tant elles s’identifient à la pensée de Gœthe, cette métaphore de Wagner : la lumière placée derrière une peinture, qui donne aux couleurs la transparence et la vie.

Dans Faust, un seul personnage est naïvement humain, et c’est Gretchen. La musique peut s’emparer de cet être tout entier : son amour, sa douleur et sa foi, que rien d’abstrait n’embarrasse, s’expriment avec une spontanéité, qui déjà est un chant. C’est à son rôle que Schubert a quatre fois emprunté. Schubert apparaît, comme Mozart, comme Mendelssohn, — toutes proportions entre les trois soient gardées ! — une sorte de miracle. Mais tandis que chez ceux-ci le prodige nous étonne, d’une organisation musicale comme tombée du ciel, d’un art d’écriture et de composition qui, dès leurs essais juvéniles, n’eut pour ainsi dire plus un progrès à faire, la précoce maturité de Schubert, dans un âge où il paraît invraisemblable qu’on connaisse, qu’on devine même le cœur humain, découvre une profondeur omnisciente du sentiment, que nul n’a jamais dépassée : une certitude unique de la sensibilité, avec une beauté unique de l’idée musicale. C’est à dix-sept ans qu’il écrit Marguerite au rouet : plainte ardente et résignée de l’amante avertie par une première angoisse avant l’abandon, qui berce au rythme du travail quotidien son remords avec sa volupté furtive.

Si la Chanson du Roi de Thulé dispense moins d’émotions, que son accent a de justesse et de douceur ! Et qu’on a tort de méconnaître la Scène de l’église et la Prière à la Vierge, malheureusement inachevées ! Entre tant de Scènes de l’église, celle de Schubert, si modeste, est vraiment la seule où l’on goûte la joie de retrouver les lignes pures du modèle, tout le sens dégagé par une déclamation sobre et forte, toute la beauté du langage transfigurée dans l’atmosphère des harmonies. L’accompagnement au piano est ici quelque chose comme l’art difficile de la gravure. C’est le noir et blanc de la musique : le mouvement et la valeur créés par des moyens limités, dangereusement précis.

Est-il exact que Schumann ait conçu le projet gigantesque et