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Quelques fragmens du rôle de Faust touchent de plus près, sinon à la philosophie, du moins à l’humanité du personnage. Deux momens fugitifs : l’un dans son cabinet de travail, avant le chœur de Pâques ; l’autre, délicieux, dans la chambre de Marguerite. Et deux grandes scènes, celle du début, et celle de l’Invocation à la Nature, qui sont les plus belles de la partition, et peut-être ce que Berlioz a écrit de plus beau. Si Berlioz et Gœthe ont pu se rencontrer, ce n’est que dans la fréquentation de la nature. Il n’en fallait pas moins. L’aigre, l’hypocondre, le satanique Berlioz, qu’a-t-il de commun avec le poète qui tout enfant offrait des sacrifices au soleil, et qui mourut en invoquant la lumière ? avec le critique qui détestait « les abominations, » et tenait le genre classique pour « le genre sain, et le romantique pour le genre malade ? »

Berlioz appelle[1] Shakspeare et Gœthe les muets confidens de ses tourmens, les explicateurs de sa vie. Et d’abord, comment l’eussent-ils été, si différens l’un et l’autre ? Singulière maladie d’un esprit, — le plus fougueux et le plus indiscipliné, — qu’il n’ait pu créer une œuvre qui ne soit étroitement connexe à l’œuvre d’autrui. La Symphonie Fantastique et Lelio font seuls exception. Encore y reconnaîtrait-on plus d’une influence, et celle même, très directe, de Faust. La vie comme l’œuvre de Berlioz semblent un combat furieux, moins pour égaler les génies qui l’ont précédé que pour les astreindre à prendre l’aspect sous lequel il aimait son propre génie. Ceux que le monde tient pour les plus grands, il faut que Berlioz soit en eux. Chose admirable, il n’en apparaît que plus original et que plus sincère. Tout ce dont il s’empare, il le fait péremptoirement sien. Virgile et Shakspeare, Gœthe, Byron et l’Écriture, oui, vous les retrouverez dans son œuvre, comme on retrouve des morceaux d’antiques aux murs d’un palais de la Renaissance.

Il y a pourtant chez ce romantique éperdu quelque chose aussi de classique, comme il y a dans ses enthousiasmes exorbitans quelque chose de cet étonnement bourgeois que les romantiques ont tant souhaité de scandaliser. L’art de cette sensibilité volontairement hypertrophiée et toute cérébrale, mais merveilleusement vivante, est organisé avec une solidité, une logique, un sang-froid qui attestent à quel point Berlioz est imbu du

  1. Lettres à Humbert Ferrand.