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classique : presque autant que Gœthe, s’il l’a autrement vu et étudié. On lui fait, pour quelques excentricités concertées, une réputation de tapageur : aucun musicien de son temps n’a été si ménager des sonorités de l’orchestre. Dans la Course à l’abîme, par exemple, où le sujet pouvait entraîner loin, la concision du trait, la sobriété des moyens, la netteté de la ligne sont dignes du véritable Faust. Et Wagner, — qui pourtant a mieux compris et mieux traité Berlioz que Berlioz ne l’a traité et compris, — exagère quelque peu quand il écrit : « Tout sentiment de la beauté lui manque[1]. » Le nocturne de Béatrice et Bénédict, le septuor et le duo des Troyens seraient dignes de murmurer sous l’éclat immobile de la lune au zénith, la nuit du Sabbat classique.


III

Un musicien de l’intelligence la plus fine et la plus haute, qui ne prit pas le temps d’être des plus grands, s’étant trop dépensé pour les autres, Franz Liszt, devait donner la meilleure leçon à ceux de ses confrères que tenterait l’adaptation musicale d’un ouvrage littéraire. Seul, il eut cette idée simple, qu’il fallait que chaque art eût ses lois, et que la musique, pour noter la pensée contenue dans un poème, s’écartât tout d’abord de ce poème, et refondît cette pensée dans une forme nouvelle. Aussi est-il le seul musicien qui ait dominé ce sujet écrasant ; le seul qui l’ait vraiment incorporé à son œuvre.

A l’époque où Liszt écrivit sa Faust-Symphonie[2], Wagner eut précisément l’idée de remanier son ancienne Ouverture pour Faust[3], tout en avouant que ce pouvait être une chose à ne pas publier. Il la publia cependant : et elle a bien son intérêt dans le développement de sa personnalité. Contemporaine de Rienzi et du Vaisseau Fantôme, elle montre, par sa structure comme par son expression, un esprit plus dégagé, et tout près de prendre pleine possession de soi. Il en est longuement question dans cette admirable Correspondance de Wagner et de Liszt,

  1. Esquisse autobiographique (Gesammelte Schriften, t. I).
  2. Ses compositions très remarquables d’après Lenau : la Procession nocturne et les deux Mephisto-Walzer, achèvent certains traits de la Symphonie, qui garde cependant la première importance.
  3. Dans la liste des œuvres de jeunesse de Wagner figurent Sept compositions sur le Faust de Gœthe (1832) sur les mêmes textes à peu près que les Huit scènes de Berlioz (publiées en 1829).