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des masses et à la révolution sociale. Convenons donc que le socialisme actuel, au lieu d’être une « science » sociale, est une religion ; semblable à toutes les religions, il a ses élémens de vérité et ses effets en partie malheureux, comme tout ce qui contient du faux, germe de l’injuste.

On nous dit : « Je crois qu’on peut regarder comme démontrée l’idée que la grève générale correspond à des sentimens si fort apparentés à ceux qui sont nécessaires pour assurer la production dans un régime d’industrie très progressive que l’apprentissage révolutionnaire est aussi un apprentissage du producteur. » Selon M. Sorel, cette guerre enthousiaste contre le patronat exige, comme l’industrie très progressive, des qualités fondamentales d’affirmation individualiste, de conscience professionnelle scrupuleuse, de « désintéressement dans l’effort et l’invention. » C’est par des argumens de ce genre que les militaristes font l’éloge de la guerre, des vertus qu’elle suppose, des vertus qu’elle développe. Ecoutez les de Moltke et les Bismarck. Mais nous ne croyons pas que les pierres lancées contre la police, les coups de fusil dirigés contre les soldats, le pillage des magasins et des usines, le watrinage des ingénieurs ou des patrons, constituent un apprentissage de la haute industrie à venir. Il n’est pas besoin, pour de tels actes, d’un si grand « effort d’invention. » Le premier sauvage venu accomplira aussi bien ce genre de besogne. Au reste, le même auteur qui fait de la grève un acte sacro-saint se réfute lui-même en disant ailleurs : « Il n’y a évidemment aucune comparaison à établir entre une discipline qui impose aux travailleurs un arrêt général du travail et celle qui peut les amener à faire marcher des machines. » Cela revient à dire que casser les vitres n’est pas un bon apprentissage pour en fabriquer et que les destructeurs ne sont pas des producteurs.

En même temps que des dogmes et des mythes, toute religion a ses rites et son culte en commun. Si la grève générale est un pur mythe, les grèves particulières sont des réalités où la poursuite des intérêts personnels, mêlée à la conception d’un intérêt général de classe, prend la forme de rites violens, parfois sanglans. Ici encore, M. G. Sorel a fort bien montré l’effet de la grève sur les consciences des foules, comment elle donne à chaque prolétaire une conscience collective de classe, comment elle rend présente et vivante l’idée socialiste grâce à la passion