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mon oncle. Et ce qui m’a paru plus singulier encore, c’est de ne pas sentir comme grand-papa m’embrassait, il me grattait toujours avec sa barbe. »

Le 10 mai, les fiançailles sont célébrées en grande pompe, cérémonie longue et fatigante, dont la nouvelle grande-duchesse donne à sa mère tous les détails. Après les fiançailles, le baise-mains. « Il y avait 1 059 personnes, figurez-vous, maman : mais aussi, ma main était toute rouge. » Remise de ses fatigues, elle proclame son bonheur. « Je suis liée pour toujours. Bien loin d’en être fâchée, cela me rend bien heureuse et j’espère de l’être toujours, car j’aime mon promis, comme vous le savez déjà, ma bonne maman, de tout, de tout mon cœur. Et il m’aime tant aussi ! »

Le même jour, l’impératrice Catherine, qui s’est installée à Tsarskoë Sélo, aussitôt après les fiançailles, écrit à Grimm : « Je suis ici depuis avant-hier et j’ai fait bien de la besogne depuis dimanche. D’abord, lundi, la princesse Louise a fait sa profession de foi et l’Eglise grecque l’a nommée Elisabeth. Puis, mardi, elle a été fiancée au grand-duc Alexandre. Tout le monde disait que c’étaient deux anges qu’on fiançait : on ne saurait rien voir de plus beau que ce promis de seize ans et cette promise de quatorze ; outre cela, ils s’aiment pas mal. » Oui, ils s’aiment, et tout autour d’eux conspire et se combine pour rendre charmant et fécond en plaisirs le temps qui va s’écouler jusqu’à leur mariage.

Il passe cependant quelques ombres sur la félicité de la petite grande-duchesse. Le 20 juin, elle se rappelle que l’année précédente, à pareil jour, tout était en fête à la Cour de Bade et qu’elle y jouissait délicieusement de la tendresse de ses parens. Ce souvenir lui arrache des larmes et des lamentations : « Maman, mon adorable maman, Dieu ! que c’est malheureux. Dans un âge où une autre commencerait seulement à sentir le bonheur d’avoir une telle mère et d’être avec elle, il faut que j’en sois séparée. Non, maman, je sens qu’il est impossible qu’on aime autant sa mère que je vous chéris. Et qui sait quand jamais je vous reverrai ? Ah ! quelle terrible idée ! Non, non, cela ne se peut pas. »

Le 16 juillet lui apporte un autre chagrin. Elle est avertie que sa sœur Frédérique, « dont elle commençait à faire son amie, » va la quitter dans trois semaines pour retourner à Bade.