Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous seriez plus contente de moi à présent par rapport à mes opinions politiques… j’avance en âge, j’acquiers de l’expérience, peu il est vrai, mais toujours plus que je n’en ai apporté au monde. »

On lit encore dans la même lettre : « Quelque peine bien réelle que me fasse le triste genre de mort de l’Empereur, je ne puis cependant m’empêcher d’avouer que je respire avec la Russie entière. » C’est, sous une forme affaiblie, un sentiment analogue à celui qu’exprime dans son Journal la comtesse de Liéven, en constatant l’enthousiasme et l’enivrement général que la mort de Paul Ier provoqua par toute la Russie. « On s’était couché esclave opprimé ; on se réveillait libre et heureux. Cette pensée dominait toutes les autres. On était affamé de bonheur et on s’y livra avec la confiance de l’éternité. »

Le nouveau règne, malgré l’événement tragique qui l’avait précédé, s’annonçait donc sous des auspices favorables. Les souverains étaient déjà populaires. A en croire Mme de Liéven, le jeune Empereur était adoré ; on enveloppait dans le même culte sa femme « si belle et si charmante. On s’inclinait devant eux ; on les entourait avec un amour qui tenait de la passion. »

Le premier volume de l’attachant ouvrage du grand-duc Nicolas se clôt à l’avènement d’Alexandre. Il nous a permis de suivre Elisabeth à travers les épisodes suggestifs de sa vie de grande-duchesse. Les volumes suivans, dont on annonce la publication prochaine, nous initieront à sa vie d’Impératrice et achèveront de nous faire mieux connaître encore cette femme remarquable, dont l’injustice de ses contemporains avait dénaturé la physionomie et qui devra au grand-duc Nicolas de n’être pas vouée à l’oubli.


ERNEST DAUDET.