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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/549

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Si notre déclaration avait été pâle, les députés de la Gauche eussent crié à la lâcheté ; elle était fière : ils lui reprochèrent d’être belliqueuse. Garnier-Pagès, avec sa bonhomie affectée de maquignon, proclama « que les princes peuvent se détester, peuvent désirer la guerre, mais que les peuples s’aiment et veulent la paix. » Ernest Picard réclama des pièces diplomatiques, « le premier devoir des députés étant de veiller à ce que les destinées du pays ne soient jamais engagées sans l’assentiment et le concours de ses représentans. » Raspail jeta quelques interjections probablement injurieuses, qui se perdirent dans le bruit. Glais-Bizoin s’écria : « C’est une déclaration de guerre ! — C’est la guerre déclarée, reprit Crémieux. — Non ! » m’écriai-je avec force. Alors Crémieux se reprit : « Je sais bien que vous êtes dans l’incertitude, que vous ne voulez ni la paix, ni la guerre. » Donc, ce n’était pas la guerre déclarée. (Crémieux n’en conclut pas moins à la nécessité d’interrompre la discussion du budget, alors en cours, jusqu’à de plus amples explications. On aurait ouvert ainsi le débat que le gouvernement demandait d’ajourner. Emmanuel Arago, qui, tout récemment, avait approuvé les doléances de Kératry sur notre longanimité dans l’affaire du Saint-Gothard, soutint la demande de Crémieux : « Le ministère avait été imprudent : en engageant la France malgré elle (Mais non ! non ! ), malgré nous, il venait de nommer le roi d’Espagne, puis de déclarer la guerre. »

Chacune de ces assertions avait été interrompue par de violentes et nombreuses protestations. « Nous voulons la dignité et la sécurité de la France, » dit Granier de Cassagnac. — « La franche déclaration du ministre des Affaires étrangères, ajouta avec bon sens Laroche-Joubert, est le meilleur moyen de conserver la paix ! » — « Vous vous faites le défenseur de la Prusse ! » avait crié un membre de la Droite. Le président essayait de circonscrire le débat : à savoir si la discussion du budget serait ou non ajournée. Notre déclaration étant défigurée, j’avais le devoir d’en rétablir la véritable signification. Je le fis ainsi : « Je demande à l’Assemblée de ne pas accepter la proposition de l’honorable M. Crémieux, et de reprendre la discussion du budget. (Très bien ! très bien ! ) Demain, l’honorable M. Crémieux et les membres de cette assemblée reliront la déclaration lue à cette tribune, après avoir été délibérée en Conseil, et ils pourront mieux en peser les termes et en mesurer la portée ; quand