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se plie sans difficultés au nouvel état de choses et sait en tirer parti. Le propriétaire arch est au contraire presque toujours un Arabe adonné à la vie pastorale, depuis un temps immémorial. Son atavisme social pèse sur lui, et le pasteur qui transportait sa tente et ses troupeaux d’un pays à un autre, suivant la richesse des pâturages, épuisant l’herbe aujourd’hui pour continuer sa migration demain, ne peut pas devenir du jour au lendemain cultivateur. La propriété individuelle le prend au dépourvu. Se trouvant dans une ignorance lamentable de l’agriculture, sachant à peine gratter son champ, n’ayant pas le sens de la culture intensive, ou tout au moins d’une utilisation systématique de la terre, il se rebute, vend le morceau de terre qu’on lui attribue et tombe dans le prolétariat. La constitution de la propriété individuelle qui facilite l’aisance au Kabyle ruine l’Arabe. En brisant les cadres anciens et en rompant l’équilibre traditionnel, l’introduction de la vie économique moderne dans la société indigène a ouvert aux habiles et aux économes des chances plus belles et plus rapides, a exposé aux chances mauvaises les faibles et les imprévoyans. Où résiste le Kabyle l’Arabe succombe, et ce n’est pas un des moindres torts de notre administration que de hâter la chute du plus faible. Nouvel exemple de l’erreur qui consiste à appliquer à tous et partout la même méthode et les mêmes procédés de gouvernement.

D’ailleurs, qu’on ne croie pas que ces terres islamisées à nouveau par les rachats de certains indigènes fassent retour à la culture précaire de leurs premiers maîtres et qu’il y ait de ce chef recul économique. Les indigènes sont entrés aujourd’hui dans la voie des améliorations en agriculture. Aux cultures qu’ils pratiquaient en 1830, ils ont ajouté, sous l’influence des Européens, le blé tendre, l’avoine, le seigle, le millet, la pomme de terre, la mandarine et les vins. On peut citer des propriétaires musulmans qui ont aujourd’hui de 20 à 50 hectares de vigne. Beaucoup de grands propriétaires exploitent leur domaine tout à fait à la française, fument leurs terres, font des labours de printemps, emploient les instrumens les plus perfectionnés, ont des moissonneuses et des batteuses à vapeur. Les uns ont recouru à des indigènes ayant fait leur apprentissage chez des Européens. Les autres engagent des contremaîtres et des chefs de culture européens. C’est ainsi que le chef de la confrérie qui passe pour le plus hostile aux chrétiens, le mokaddem des