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étonnait tout le monde. Il indique aussi que, partout ailleurs, on entrait dans un hospice de fous sans la moindre formalité. La seule mesure générale qui s’appliquait « théoriquement » à tous les établissemens pour insensés consistait en une visite trimestrielle des préfets, sous-préfets ou des maires, visite qui devait être suivie de l’envoi au ministère de tableaux statistiques concernant ces maisons. Comme bien on pense, cette mesure n’était qu’une formalité paperassière qui n’intéressait personne et qui laissait tout dans le statu quo le plus coupable. On était, à part quelques rares spécialistes de Paris, préoccupé exclusivement de garantir la sûreté publique contre les méfaits de certaines personnes supposées atteintes d’aliénation mentale ! Leur bien-être, leur guérison possible, n’entraient encore nullement en ligne de compte. Un asile de fous n’était et ne devait pas être autre chose qu’un lieu de contrainte et de séquestration. Séparé du reste du monde, il ressemblait réellement à un tombeau où des êtres vivans étaient entassés sans que jamais un témoin désintéressé pût y pénétrer pour raconter toutes les ignominies qui s’y passaient, toutes les souffrances qui y étaient endurées. Une sorte de conspiration du silence empêchait les préfets et les maires de dire toutes les vérités cruelles que les malades leur hurlaient à chacune de leurs visites trimestrielles. « Ce sont des fous, » se disaient-ils, et leur « pitié » d’administrateurs n’en était pas autrement émue. Les appels désespérés des pensionnaires les laissaient aussi parfaitement indifférens, et ils s’en allaient la conscience tranquille. « Du moment qu’ils sont enfermés, pensaient-ils, c’est qu’ils sont fous. Quant à leurs plaintes, elles n’ont aucune valeur, car tous les fous se plaignent de leur captivité… » Et ces maîtres de la Sûreté publique partaient satisfaits, sans se demander si les tenanciers de ces établissemens et leurs gardiens n’étaient pas plus ou moins intéressés dans la réclusion de tel ou tel de leurs administrés… Le mot d’ordre de beaucoup d’administrateurs : « surtout, pas d’histoires » les mettait à l’abri du doute et des questions du genre de celles-ci : « Cet hospice pour insensés ne contient-il que des fous ? Parmi ces captifs, n’y en a-t-il pas qui soient là pour permettre à ceux qui les ont internés de satisfaire avec plus d’aise leurs désirs, leurs passions ou, même, leurs tendances criminelles ? Et si tous ces malheureux ne sont que des malades, reçoivent-ils des soins convenables ?…