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Accordé. Ils ont exigé que M. Simyan disparût : on leur a fait sentir qu’il y avait là quelques apparences à ménager, parce que le gouvernement, lui aussi, avait une face à sauver, mais que, s’ils étaient gens à comprendre à demi-mot, ils jugeraient inutile d’insister. Ils ont daigné sourire et ont fort bien remarqué que M. le sous-secrétaire d’État n’assistait déjà plus à ces entretiens : on n’avait garde de le montrer. Entre temps, ils allaient rendre compte à leurs commettans de la manière dont ils avaient rempli leur mandat, de même que M. Barthou et M. Clemenceau allaient rendre compte à la Chambre de la manière dont ils avaient rempli le leur. Les deux institutions, entre lesquelles les points de ressemblance ne manquaient pas, fonctionnaient parallèlement. La seule différence est que les assemblées générales des grévistes étaient plus difficiles à contenter que la Chambre. Tandis que celle-ci multipliait peureusement ses votes de confiance dans le ministère, les assemblées grévistes, fortement imprégnées de ces instincts soupçonneux qui sont si fréquens dans les milieux démocratiques, condamnaient une de leurs délégations, soupçonnée de s’être montrée trop crédule, ou peut-être même de s’être laissé corrompre. De nouveaux délégués, envoyés à M. Clemenceau, lui ont déclaré, les yeux dans les yeux, que si ses promesses n’étaient pas strictement tenues, on passerait aux moyens révolutionnaires. Nous savons bien comment un ministre, autrefois, aurait répondu à pareille menace : M. Clemenceau s’est contenté de dire qu’il n’admettait pas qu’on doutât de sa parole. Il n’y avait pas à en douter, en effet : le gouvernement était bien décidé à tenir tout ce qu’il avait promis. Sa confiance du premier moment était tombée. Peut-être avait-il quelques raisons de croire que, si la grève se prolongeait, elle s’étendrait à d’autres organisations, toutes prêtes à se solidariser avec celle des postiers. Quoi qu’il en soit, il a cédé et les grévistes ont été en droit de chanter victoire. Ils n’y ont pas manqué.

Le gouvernement s’est donc contenté de bien parler. Ne pouvant lui donner crue des satisfactions de parole, il les a prodiguées à la Chambre, qui lui a répondu par des ordres du jour très flatteurs. Malgré cela, un lourd malaise continue de peser sur le monde politique : il vient de l’incertitude de l’avenir. De nouvelles forces se sont formées et organisées dans le monde ; on n’y a pas suffisamment pris garde au début, et il est un peu tard aujourd’hui pour conjurer le danger qu’elles apportent avec elles. Un vieux chroniqueur représente Charlemagne pleurant longtemps et amèrement, parce qu’il avait vu les barques normandes venir menacer le rivage de France : il prévoyait ce qui