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de la recette. Ce huitième, — 12 pour 100, — ne portait pas comme celui d’aujourd’hui sur l’encaissement brut, mais seulement sur le bénéfice net, partagé entre les comédiens.

La situation pécuniairement exceptionnelle de Molière ne tint pas du tout à son génie exceptionnel, mais à ce motif d’ordre purement mercantile qu’il l’exploita lui-même. Si Molière n’avait pas cumulé les qualités de directeur et d’acteur, il n’aurait jamais obtenu les mêmes avantages comme auteur ; tandis qu’avec cette triple qualité et un talent tout ordinaire, il aurait pu gagner autant. Ce qui lui vaut un rang sans égal dans la postérité, ce n’est pas d’avoir écrit trente pièces en quinze ans, puisque d’autres en ont composé davantage et qu’au XIXe siècle par exemple Scribe en fit représenter 125, d’Ennery 210, et que Clairville enfanta vingt vaudevilles en douze mois.

Mais ce qui valut à Molière de son vivant des profits sans égaux alors, c’est d’avoir alimenté lui-même la scène dont il était le chef et le principal interprète. Malgré tout, il fut moins payé comme auteur que comme artiste, parce qu’il lui fallait donner d’autres pièces que les siennes, sa propre fécondité ne pouvant suffire au renouvellement de son affiche, où les chefs-d’œuvre mêmes ne tenaient pas longtemps. Le cas de Molière fut donc un cas spécial et, ce qui le prouve, c’est qu’après sa mort les auteurs continuèrent à toucher des honoraires assez minces, tandis que les comédiens virent augmenter leurs appointemens. La part de sociétaire, jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, oscillait de 15 000 à 24 000 francs.

Au même temps et jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, aucune pièce ne rapporta 10 000 francs à son auteur. Voltaire en approcha avec Mérope (9 950 francs) et Crébillon avec Catilina (9 720 francs). Avec la Métromanie (1738) Piron n’avait eu que 8 125 francs et Lesage n’avait tiré que 2 000 francs de Turcaret. Entre les auteurs et les comédiens la partie à coup sûr n’était pas égale ; ces derniers usaient à leur guise de leur monopole officiel, jusqu’à la Révolution de 1789. Sauf en de courtes périodes où la Comédie-Italienne lui fit quelque concurrence, pour les pièces légères, le Théâtre-Français était le seul débouché de la littérature dramatique.

La situation s’est retournée de nos jours à l’avantage des écrivains : ce sont eux qui, par leur groupement en une société unique, se sont constitué un monopole de fait vis-à-vis des