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directeurs isolés. Est-ce à dire qu’ils soient parvenus à se rendre maîtres de leurs salaires ? Les lois inéluctables que nous avons vues, dans tout le cours de cette histoire et pour toutes les sortes de chiffres, s’opposer à l’asservissement des prix, aussi bien par ceux qui les encaissent que par ceux qui les payent, cette seule catégorie sociale des dramaturges serait-elle parvenue à s’y soustraire par son adresse ou son énergie ? Ce serait, dans la vie réelle, une intrigue plus savante et un dénouement plus imprévu que celui de toutes les fictions théâtrales.

Mais il n’en est rien. L’accroissement du profit que les auteurs contemporains tirent de leur œuvre tient à de tout autres causes. Il tient à l’accroissement de leur clientèle en nombre et en richesse. Ceci n’est pas pour diminuer le mérite de Beaumarchais ni de ses successeurs modernes d’avoir, l’un conçu, les autres constitué et géré la puissante « Société des Auteurs ; » mais, si les conditions matérielles de la vie ne différaient pas aujourd’hui de ce qu’elles étaient sous Louis XVI, au lieu des 60 000 ou des 100 000 francs annuels de droits que distribuait la Comédie-Française de 1780 à 1789, elle en distribuerait peut-être le double ; et ce serait tout. Ceux qui écrivaient pour la scène n’auraient pu s’imaginer qu’il fût possible un jour de distribuer à leur corporation une somme telle que les 5 millions de droits encaissés en 1907.

Il est souvent question, dans l’histoire du théâtre aux derniers siècles, de ce qu’on nommait les « règles, » c’est-à-dire les recettes minima à la suite desquelles une pièce quittait l’affiche et cessait, si elle venait à être reprise, de produire des droits d’auteur. Une pièce « tombait dans les règles » sous Louis XIV lorsqu’elle ne faisait pas plus de 1 900 francs en hiver et de 1200 francs en été ; sous Louis XV (1757) ces chiffres furent portés à 2 550 et 1 680 francs suivant les saisons. En fait, la dépossession de l’auteur au profit des comédiens ne profitait pas à ceux-ci, puisqu’ils cessaient de représenter l’ouvrage, et ne portait pas préjudice à celui-là, puisqu’il n’existait pas d’autre scène où il pût la faire jouer.

De sorte que cette pénalité, draconienne en apparence, était plutôt une garantie pour les écrivains vis-à-vis de l’administration théâtrale qui, de nos jours, est seule juge du niveau où elle entend maintenir les recettes. Il n’en allait pas de même des artifices de comptabilité grâce auxquels les comédiens