Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépouillaient passablement les auteurs ! Les auteurs malheureux surtout : témoin l’histoire maintes fois citée du sieur Lonvay de La Saussaye qui, pour cinq représentations de La Journée Lacédémonienne, dont le produit montait à 24 000 francs, loin de toucher quelque chose, se trouvait devoir à la Comédie une somme de 202 francs. Cet exemple, dont Beaumarchais tira bon parti dans sa campagne contre les sociétaires, tenait à ce que, pour le calcul des droits, — un neuvième du bénéfice net, — chaque pièce avait son budget séparé et, si des frais de mise en scène un peu lourds cadraient avec une chute, le résultat était déficitaire.

Aujourd’hui une chute à la Comédie-Française rapporte quelque chose ; tel ouvrage, qui disparaissait l’an dernier après cinq soirées dont le total s’élevait à 15 000 francs, procurait néanmoins 1 500 francs à son auteur. Car le temps présent au Théâtre-Français a aussi ses anomalies et, sur les droits de 15 pour 100 afférens à la totalité du spectacle, le « lever de rideau, » s’il en existe, prélève un tiers, soit en moyenne 300 francs ; tandis que, dans toutes les autres salles, il n’a droit qu’à 10 francs au maximum.

Si la petite grivèlerie révélée par Beaumarchais était indigne des sociétaires du XVIIIe siècle, le mordant écrivain en a beaucoup exagéré l’importance. J’ai eu la curiosité d’évaluer le dommage réel causé aux auteurs, c’est-à-dire la différence entre ce qui leur était promis et ce qui leur était payé : en neuf ans, de 1780 à 1789, il s’élève à 210 000 francs, soit 23 000 francs par an. Il est vrai que la perception du droit sur le profit, et non sur la recette brute, imposait une lourde charge aux pièces qui tenaient l’affiche trop peu de temps pour amortir leurs frais ; mais, admis de convention expresse, il avait aussi le résultat contraire d’augmenter beaucoup les droits des pièces à succès.

Si l’on compulse les registres du Théâtre-Français, on s’aperçoit bien vite que les faibles droits d’auteur tenaient, non pas tant à la quotité du prélèvement ou à la faiblesse des recettes qu’au petit nombre des représentations de chaque ouvrage. Ainsi les droits d’auteur de Destouches pour le Médisant (1715) ou la Force du Naturel (1750) furent de 315 et de 373 francs par soirée ; chiffre égal ou supérieur à la moyenne actuelle dans la moitié des théâtres parisiens. Pourtant, ces pièces rapportèrent