Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du capital initial et non pas seulement le chiffre d’affaires.

Mais, si l’on ne saurait tirer aucune conclusion de la comparaison du bénéfice avec les salaires, on peut comparer le bénéfice sur le même objet à deux époques successives et l’on se convainc alors que, dans ce domaine immense de la production et de l’échange, la part du capital s’est réduite et la part du travailleur s’est accrue. Lorsqu’on entend dire que l’ouvrier a droit au produit intégral de son travail, cela veut dire, je pense, que le travailleur capitaliste, — appelé patron, — devrait cesser de prélever, sur le prix de l’objet fabriqué, le loyer de son argent employé à l’achat des outils et des matières premières. En attendant que les capitaux aient été supprimés par ce, qu’on nomme l’ « organisation coopérative du crédit, » nous constatons déjà que le capital a été réduit à la portion congrue.

Par rapport à ce que prenaient, pour l’intérêt de leurs avances et de leur matériel rudimentaire, les petits patrons d’il y a cent ans sur chaque kilo de fer, de charbon, de papier ou de cuir, sur chaque mètre de drap ou de toile, sur chaque tonne de marchandises transportée par terre ou par eau, les gros patrons d’aujourd’hui prennent infiniment moins. La distance entre la journée du « maître » et la journée du « compagnon, » qui constituait le bénéfice patronal sous Napoléon Ier, multipliée par les deux ou trois mille « compagnons » qu’emploient les sociétés industrielles de nos jours, représenterait pour elles un bénéfice cinq ou six fois supérieur à tous ceux qu’elles espèrent recueillir. Cependant, l’outillage qu’elles fournissent à ces deux ou trois mille hommes coûte beaucoup plus que tous les outils dont ils se servaient il y a cent ans.

C’est même pour s’être contentée d’un profit inférieur que la grande industrie a supplanté la petite, et non pas seulement pour avoir introduit des procédés mécaniques perfectionnés. La preuve, c’est que dans le commerce, où il n’y a pas de mécanique ni de travail usinier, c’est en réduisant ses ambitions de lucre que le gros commerçant a tué le petit. Et le mouvement ne s’arrête pas : dans toute manufacture dont on peut suivre l’histoire depuis cinquante ans, on constate que, sur chaque unité de marchandise, quels que soient les progrès réalisés dans la fabrication, le gain s’est aminci tandis que la journée de l’ouvrier renchérissait.