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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/88

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Comment donc concilier ces deux faits, en apparence contradictoires : l’accroissement de la fortune des capitalistes, supérieur à la hausse des salaires, et l’extrême réduction du bénéfice patronal ? Il est clair, par la coïncidence même de ces deux phénomènes, que la fortune advenue aux capitalistes n’a pas été dérobée aux travailleurs. Au contraire, loin d’en avoir fait les frais, ce sont les travailleurs qui sont les propriétaires de cette fortune ; du moins les plus chanceux d’entre eux, car nos capitalistes sont tous de date récente. Le travail, c’est le gain annuel ; le capital, c’est le gain accumulé d’un demi-siècle. Et comment interdire au travailleur d’épargner, s’il lui plaît, quelque chose sur son gain de l’an dernier, de le cristalliser en capital et d’en tirer un revenu ?

Les capitaux se forment d’ailleurs et peuvent augmenter par des causes où le travail n’a rien à voir : les propriétaires du sol de Paris, des grandes villes et de quelques localités où le terrain a prodigieusement augmenté ; ceux des domaines sis en des provinces reculées dont les voies de communication ont quadruplé la valeur ; les porteurs de fonds d’Etat français et d’obligations de chemins de fer, souscrits à l’émission un tiers plus bas que le cours actuel ; ceux-là et bien d’autres, tels que les actionnaires de compagnies d’assurances, de banques ou de commerce, ont gagné, sans qu’on les puisse accuser d’exploiter le travail d’autrui, puisque leur capital ne servait à payer aucun ou presque aucun travail manuel.

Il est aussi beaucoup de capitaux français qui ne correspondent pas à du travail français, puisqu’ils sont placés à l’étranger. Ici les Français encaissent nécessairement plus de revenus que de salaires, à l’inverse des Américains qui reçoivent plus de salaires que de revenus ; puisque le prix tout entier du travail reste chez eux et qu’une partie du loyer des capitaux émigré dans le vieux monde.

Cette opposition que l’on veut faire, entre le développement des capitaux et celui des salaires, pour en tirer des argumens contre le temps présent, est si vaine et si fausse que, tout au rebours, l’accroissement des revenus par rapport aux salaires est le critérium des progrès d’un peuple : c’est signe qu’il s’y forme des capitaux. Nous évaluons les salaires actuels en France à 12 milliards et les revenus à 9 milliards ; or, sous Henri III ou sous Louis XV, le total des salaires, comparé à celui des revenus,