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d’autres « béguines » errantes dont ils avaient eu à écouter les divagations. Mais cet état d’esprit n’est plus celui de notre temps. L’importance du rôle historique de Jeanne d’Arc ne nous est pas plus gênante à admettre, désormais, que celle du rôle de saint François d’Assise ou de Napoléon, pourvu seulement qu’elles nous soient démontrées par des preuves, certaines ; et peut-être n’y a-t-il pas d’habitude intellectuelle dont nous soyons, Dieu merci, plus entièrement revenus que celle qui pendant un quart de siècle a conduit les biographes, et leurs lecteurs avec eux, à vouloir obstinément rapetisser les grands hommes, sous prétexte de les rendre plus conformes aux lois moyennes de l’humanité.

C’est ce qu’a bien senti M. Andrew Lang, l’éminent érudit et philosophe anglais, qui vient de nous offrir, à son tour, une Vie de la Pucelle, patiemment méditée et préparée depuis plus de vingt ans ; et aussi ne puis-je assez dire combien le contraste est complet et profond, entre l’image nouvelle de Jeanne telle qu’il la conçoit et nous la représente, et cette image « réaliste » que tout l’art merveilleux de M. Anatole France n’a point réussi à nous rendre vivante, — faute pour nous de pouvoir, dorénavant, partager le point de vue historique d’où il l’a conçue.


II

J’ai eu souvent déjà l’occasion de louer ici les travaux et le talent de M. Andrew Lang, dont on peut bien affirmer, sans crainte d’erreur, qu’il est aujourd’hui tout à fait au premier rang des hommes de lettres de son pays[1]. Ses livres sur l’histoire de l’Ecosse, en particulier, lui ont valu une autorité incomparable ; et leur légitime succès ne leur est pas venu seulement de l’abondance et de la sûreté de leur documentation, ni de l’agrément littéraire de leur mise en œuvre, mais aussi du sang-froid exemplaire avec lequel l’auteur y a toujours réussi à se garder de toute exagération comme de tout « emballement, » assidu à démêler le désir de « mystification » qui se cachait trop souvent sous les plus fameux « mystères de l’histoire, » et ne permettant point, par exemple, à sa profonde pitié pour l’infortune de Marie Stuart de l’aveugler sur sa participation au meurtre de Darnley. Impossible, à coup sûr, de rencontrer un historien

  1. Voyez notamment la Revue des 15 décembre 1901, 15 novembre 1903, et 15 décembre 1904.