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la joie dans l’éblouissement d’un projet dont la bonne mort lui épargne le décevant accomplissement : jusque-là le démon ne peut que profiter de son adhérence à la matière pour mener au mal ses meilleurs instincts, pour faire déboucher sur le néant sa plus noble intention, et dans l’assouvissement lui faire regretter le désir. Le Faust de Goethe ne jouit pas comme celui de Marlowe des plaisirs qui sont le prix de son salut. Il les mesure à sa hauteur morale. Et s’il n’est jamais satisfait, c’est que Méphistophélès, qui ne peut considérer, — et avec quelle ironie ! — que la matérialité du peu que l’homme atteint, vide de tout effort et de toute illusion les satisfactions qu’il lui procure. Mais l’illusion de Faust renaît de sa propre cendre. Il reste « celui qui toujours va s’efforçant. » Qu’il ne parvienne, dès lors, à rien de mieux qu’être un homme, avec, comme dit Taine, plutôt des velléités que des volontés, des aspirations que des idées ; que son action n’aboutisse qu’au crime ; que son amour s’achève en un cauchemar de meurtres ; que son œuvre suprême soit souillée par la mort des deux vieillards qui lui opposent une dernière fois l’exemple de la vie normale, il n’importe : rien ne peut faire qu’il ne tende sans cesse à l’existence la plus haute. Et quand, au-delà des choses terrestres, son esprit se sera purifié dans le labeur souverain de la contemplation, la petite main plébéienne et très impure de Marguerite lui ouvrira le Paradis : car il est juste que l’amour le plus simple rachète tant de science.


On a dit que la véritable création de Goethe, dans Faust, c’était Gretchen. Ceci n’est exact qu’à la lettre. Gœthe a pris aux légendes ou aux poèmes, où ne paraît pas Marguerite, Faust et Méphistophélès, et la plupart des incidens de leur rencontre, et jusqu’à l’évocation d’Hélène. Mais c’est bien lui qui a créé toute la signification que nous connaissons à ces vieux personnages aujourd’hui, et tout ce qu’enferme leur enveloppe ; et la fin nouvelle qu’il leur a donnée témoigne à quel point il les a transformés. Gœthe s’attachait au sens intérieur de toute chose, de tout être, de toute vie, pour découvrir, sous la multiplicité des formes, l’unité cachée de l’univers et de l’homme. Les mots ne lui en paraissant pas des signes suffisans, il la réincarnait en vivans symboles.

C’est ici le point de contact avec la musique.

A l’égard du monde des apparences, l’art des sons est