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le regret. Il est acculé au saut le plus désespéré pour atteindre l’inconnu.

On n’a pas la prétention d’expliquer ici le livre qui faisait réfléchir Mme de Staël sur tout, et sur quelque chose de plus que tout ; mais rien que pour démêler quels droits y peut revendiquer la musique, il faut bien le considérer de l’intérieur, et en raisonner quelque peu. D’ailleurs, Goethe lui-même ne nous a-t-il pas avertis ? « Les Français n’admettent pas que l’imagination ait ses lois, qui puissent et doivent être indépendantes delà raison. »

Faust est l’œuvre d’une vie entière. Le poète a écrit chaque épisode au moment de sa vie qui correspondait au moment de sa pensée. Il n’a conclu qu’après avoir parcouru lui-même le cercle de l’activité humaine.

L’homme distingue en soi des principes toujours en lutte, qu’il classe sous les noms de matière et d’esprit. Méphistophélès, pour qui la matière seule existe, prétend le séduire par la matière. Parce qu’il a entendu Faust s’exclamer amèrement : « Il faut te priver ! il le faut : c’est le refrain éternel ! » il se persuade qu’il en aura raison par la jouissance : et il ne connaît de jouissance que l’ordure du vice humain. En bon Allemand, c’est à la taverne qu’il pense tout d’abord. Voyant le docteur trop prêt à exiger en ses plaisirs quelque délicatesse, il exaspère ses sens par une drogue. Le premier sentiment de l’amant de Gretchen est d’un vieillard aphrodisié : « Elle a pourtant plus de quatorze ans !… Si j’avais seulement sept heures devant moi, je n’aurais pas besoin du diable pour séduire une semblable petite créature. »

Comme il change, aussitôt entré dans la chambre candide ! Sa pensée, qui loin de tout amour avait défleuri, transmue instantanément l’infernal désir. Trop inférieure en esprit pour le fixer, cette petite fille le dépasse de tout son cœur : et l’approche de ce cœur suffit à éclairer l’esprit de Faust.

Dès ce moment, Méphistophélès est vaincu. Celui qui nie toujours reste impuissant à concevoir qu’une seule chose, pour l’homme, n’admet point la négation, et que c’est son propre rêve. Il ne saurait comprendre sa noblesse, que ce rêve soit pour lui la réalité première, et que son bonheur tienne tout entier dans le demain qu’il ne verra pas. Dès l’instant où l’âme prend conscience de son humanité, elle échappe au démon ; il s’essouffle à la suivre, parmi les tentations qu’elle s’inspire à elle-même désormais. Les yeux s’étant fermés à la matière, elle rencontrera