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peu près à lui-même ; s’il est industriel ou s’il a besoin des blés ou des riz de ses voisins, il s’expose à de dangereuses représailles. C’est pourquoi le boycottage ne peut être efficace qu’entre deux pays qui n’ont ni la même vie, ni la même organisation économique ; entre deux grandes puissances européennes, il causerait, d’un côté comme de l’autre, des pertes et des souffrances sensiblement égales ; il équivaudrait à une guerre de tarifs poussée jusqu’à la prohibition. Si donc le boycottage peut devenir une arme redoutable, il ne saurait être une arme utilisable dans toutes les circonstances ; il restera toujours d’un maniement dangereux pour celui qui ne s’en servirait pas à bon escient ; il pourrait, dans certains cas, faire plus de tort au boycotteur qu’au boycotté. Il ne faudrait pas croire que si l’industrie et le commerce austro-hongrois ont subi des pertes considérables, les négocians turcs n’aient pas éprouvé, eux aussi, des dommages importans : il convient de faire entrer en ligne de compte la hausse des produits boycottés qui oblige le consommateur à de gros supplémens de dépenses, et en outre les droits de douane que l’Etat n’a pas encaissés. La hausse, en Turquie, a atteint, sur certains marchés, jusqu’à 80 pour 100 sur le sucre, à 25 et 30 pour 100 sur le pétrole et le papier. Les affaires sont les affaires, disent les Anglo-Saxons ; les Turcs et les Chinois mettent en pratique d’autres maximes ; ils savent mettre même les affaires au service du patriotisme et ils ont montré qu’ils étaient capables de faire le sacrifice des intérêts particuliers au bien général.

Les effets du boycottage ne cessent pas le jour où reprennent les relations normales entre les deux pays en lutte. Le boycottage est, à ce point de vue, une forme du nationalisme économique : nous avons vu les Chinois créer chez eux des industries et chercher à se mettre en mesure de produire les articles qu’ils achetaient auparavant à l’étranger : c’est là du pur colbertisme. Les Turcs ont eu le même dessein : ils ont développé la fabrication nationale des fez ; mais la période de boycottage a été trop courte pour permettre l’éclosion d’industries nationales que d’ailleurs la situation économique et financière du pays ne comporte pas. Les Turcs continueront donc à s’adressera l’étranger ; il est probable cependant que les Autrichiens ne recouvreront pas toute la clientèle qu’ils ont perdue ; un mouvement national aussi vif que l’a été le boycottage en Turquie laisse après lui