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moment de descendre dans les hypogées, il se retourna vers moi et me dit :

— Et maintenant, monsieur, je vais vous montrer les sépulcres de mes ancêtres, les pharaons d’Egypte !

Rien ne saurait rendre l’intonation à la fois railleuse et emphatique de cette phrase. Et je comprenais fort bien le discours muet que m’adressaient les yeux narquois de mon guide. Il me signifiait clairement : « Allez faire ailleurs vos embarras ! Vous n’êtes rien qu’un barbare ahuri, devant ces magnificences royales auxquelles ont travaillé mes pères et qui, après trois mille ans, vous plongent dans la stupeur, vous les prétendus civilisés ! »

Il est vrai que ce jeune Copte avait reçu quelque instruction : ce qui explique en partie sa suffisance. C’est bien pis chez les Levantins qui sont passés par nos collèges et qui sont munis de nos diplômes. Ceux-là dissimulent à peine la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. Egyptiens, Syriens ou Hellènes, ils considèrent la culture européenne comme une simple mise en valeur de leurs sciences et de leurs civilisations d’autrefois. Cette culture, c’est leur bien, leur propriété. Ils prétendent la reprendre de nos mains et la faire valoir à leur tour, et mieux que nous ! Tout gonflés d’être les premiers de leurs classes et de remporter des prix d’excellence, ces bons élèves ne doutent plus qu’ils ne nous battent sur notre propre terrain. Un jour que je causais avec un journaliste de là-bas, l’entretien tomba sur un de nos compatriotes, rédacteur en chef d’une feuille égyptienne : « Oh ! Un tel ! — me dit avec mépris l’Oriental, — il a beau être ancien élève de l’Ecole normale supérieure, j’écris mieux que lui en français ! »

Doués d’une si belle assurance, ils abordent intrépidement tous les sujets, tranchent dans toutes les questions, un peu comme nos primaires, à qui leurs certificats d’études et leurs brevets dorment l’illusion d’une compétence illimitée. Ils sont volontiers brouillons et touche-à-tout. C’est surtout pendant la période héroïque de la révolution turque qu’il fallait les voir et les entendre. Après tant d’années de silence et de guerre à l’imprimé, on se rua aux tribunes et aux écritoires. Les langues se délièrent, les plumes se débridèrent effroyablement. Du Bosphore au Delta du Nil, tout l’Empire retentit de harangues, de conférences, de rhétorique déclamée pu écrite. Les gens de bon sens,