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Il semble que la pensée intime du Grec soit celle-ci : « A quoi bon des armées et des flottes, une administration, une hiérarchie et une discipline ? Nous sommes toujours sûrs de vaincre par la souplesse et l’opiniâtreté de notre intelligence ! »

Cette haine de la discipline, cette tendance secrète à l’anarchie, c’est la tare du nationalisme hellénique. Le Grec est un individualiste effréné, ce qui ne l’empêche pas, quand il le faut, de se dévouer à la cause commune. On dirait même que l’excès de son individualisme ne sert qu’à corriger l’excès de son nationalisme. Divisé contre lui-même, il est l’homme des coteries, des clans, des querelles de clocher. Les sentimens qu’il professe à l’égard de ses compatriotes nous donnent la mesure de son amour pour l’étranger, — pour les Puissances, ces tutélaires Puissances européennes qui, lambeaux par lambeaux, lui ont reconstitué une patrie. Nous autres, nous sommes philhellènes, et certains d’entre les Grecs se piquent d’être philoxènes. Mais ne demandons pas trop à la nature humaine. S’il est naturel d’aimer les gens en raison des services qu’ils nous rendent, il est aussi très humain de limiter sa reconnaissance à la durée de ces services. Sans doute, les caractères et les choses ont bien changé depuis l’époque byzantine. Et cependant il est possible d’y trouver plus d’une analogie avec l’époque contemporaine. Lorsque l’Autocrator de Constantinople était envahi ou menacé par les Arabes ou les Bulgares, il appelait les Francs à son aide. Le danger passé, et ces auxiliaires barbares devenant encombrans, il s’en débarrassait en les faisant décimer par ses ennemis de la veille. Toutes proportions gardées, l’opinion hellénique procède encore de la même manière à l’égard de l’étranger, de l’homme d’Occident qui n’est jamais que l’allié éphémère de l’Oriental. Quel qu’il soit, — Anglais, Allemand ou Français, — dès qu’il n’est plus utile, il a cessé de plaire.


VI

Et ainsi, pour les Hellènes, comme pour les Syriens et les Juifs, nous aboutissons à une conclusion identique : l’égoïsme de race prime chez eux tous les autres instincts. Si la supériorité intellectuelle, commerciale et pratique suffisait pour assurer à un peuple l’hégémonie, ces élites de dissidens orientaux devraient commander à tout l’Orient, d’autant qu’ils sont