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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/395

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ou plutôt se dire à soi-même : « J’aime ; mais je n’ai plus le courage de mon amour. Je suis lasse. J’ai été tellement torturée par l’effroi de la passion orageuse qui s’était abattue sur moi que j’ai, pour me sauver de moi-même, cherché un refuge dans un aveu à mon mari qui a été un remède, mais égal au mal. J’ai vu mon mari frappé à mort tant par cet aveu même que par ses soupçons et ses inquiétudes sur les démarches de M. de Nemours. Je suis en partie, encore qu’innocemment, cause de sa mort. Je résiste désormais à toute passion, et j’en ai peur. Je cherche le silence et la nuit pour pleurer et pour mourir. »

Qui ne voit que l’explication de la Princesse de Clèves est, au moins partiellement, dans cette pensée de La Rochefoucauld : « Dans la vieillesse de l’amour, comme dans celle de l’âge, on vit encore pour les maux ; mais on ne vit plus pour les plaisirs. » L’amour de Mme de Clèves est déjà vieux ; elle aussi est déjà vieille, étant souffrante et destinée à mourir jeune ; elle le sent et qu’elle ne peut plus vivre que pour les maux et elle veut s’épargner au moins les plus douloureux et elle dit comme Mme de Staël : « Il vaut mieux commencer que finir par ne pas s’aimer ; » et cette fin du roman, non seulement n’est pas vulgaire, mais elle est parfaitement logique et elle est d’une beauté mélancolique et douloureuse comme un grand naufrage.

Voilà ce qu’aurait certainement compris M. de Valincour s’il avait lu lentement. Quant à Bussy, il aurait eu beau lire lentement, il ne se serait jamais, je crois, élevé beaucoup au-dessus de la critique de corps de garde ; mettons, si vous voulez, de bivouac.

Le juge nient de Valincour sur l’ensemble de la Princesse de Clèves me semble assez juste : il trouve l’histoire très touchante, il félicite l’auteur d’avoir « affectionné » les lecteurs à tous les principaux personnages. « Les faiseurs de nouvelles ordinaires croient avoir beaucoup fait quand ils ont affectionné leurs lecteurs à quelqu’un de leurs personnages. Dans celle-ci, il n’y en a pas un pour qui l’on ne s’intéresse. On admire Mme de Chartres, on aime Mme de Clèves, on plaint son mari ; on estime M. de Nemours. Il n’y a rien qui ne porte au cœur et qui ne s’y fasse sentir. » — A mon presque grand étonnement, il trouve ce roman dangereux : « Il se trouvera plus d’une femme qui, après l’avoir lu, se sentira le cœur plus tendre qu’elle ne l’avait auparavant. Et une personne à qui l’exemple de Mme de Clèves aura inspiré la même faiblesse ne trouvera peut-être pas la même force pour