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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/470

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Il prit timidement la main de Werner :

— Vous, seigneur, venez donc avec moi ! Ayez compassion ! Ne dites pas non !

— Impossible, mon cher ami : je vais avec celui-là !

Mussia s’approcha du Tatare, et lui dit doucement :

— Je vais avec vous !

Le brigand sursauta, et roula des yeux effarés.

— Toi ?

— Mais oui.

— Voyez-moi un peu cette petite ! Et tu n’as pas peur ? Car, s’il le faut, je puis aller seul !

— Non, je n’ai pas peur !

— Mais sais-tu que je suis un brigand ? Et cela ne te répugne pas ? Eh ! bien, soit, je ne le prends pas en mal !

… Bientôt, ce fut le tour de Werner et de Janson.

— Adieu, seigneur ! cria Michka à Werner. Dans l’autre monde, nous ferons connaissance ! Quand vous me reverrez, ne vous détournez pas de moi !

— Adieu !

— Je ne veux pas qu’on me pende ! Je ne veux pas ! — hurla Janson, qui recommençait à se rendre compte de sa situation.

Mais Werner lui étreignit la main, et l’Esthonien fit quelques pas en avant. Puis on le vit s’arrêter, puis tomber, de tout son long, sur la neige. Les hommes se penchèrent sur lui, le relevèrent, et l’emportèrent. Il ne se débattait que faiblement, dans leurs bras robustes, et avait complètement cessé de crier, ayant peut-être oublié qu’il avait une voix. De nouveau, un grand silence s’étendit, où luisaient, immobiles, les lanternes jaunes.

— Et moi qui vais être seul, Mussia ! dit tristement Tania. Ensemble nous avons vécu, et maintenant…

— Tanietchka, ma bien chérie…

Mais, énergiquement, le Tatare intervint. Saisissant la main de Mussia, comme s’il craignait qu’on lui enlevât sa compagne, il dit, d’une voix rapide et posée :

— Hé ! mademoiselle, tu peux bien aller seule, toi ! Tu as une âme pure, tu peux aller seule où il te plaira ! Comprends-tu ? Mais moi, non ! Je suis un brigand ! — comprends-tu ? — un assassin : il m’est impossible de venir seul ! J’ai même aussi volé des chevaux, aussi vrai que Dieu m’entend ! Tandis que, avec elle, je m’en vais comme avec un enfant nouveau-né sur le bras ! M’as-tu bien compris ?

— Oui, je te comprends ! dit Tania. Mais viens, que je t’embrasse encore une fois, Mussetchka !

— Embrassez-vous, embrassez-vous ! — dit aux deux femmes le Tatare, d’un ton encourageant. — Ça, c’est l’affaire des femmes !

Le tour arriva de Mussia et du Tatare. La jeune fille s’avançait avec précaution, relevant sa jupe par habitude, mais toujours tenant par la main son compagnon, qu’elle s’était promis d’aider à mourir.

Tout était calme et vide autour de Tania. Les gendarmes se taisaient,