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II

Depuis le célèbre duel d’éloquence entre Mirabeau et Barnave, on a beaucoup disserté sur les conditions dans lesquelles un gouvernement peut déclarer une guerre. Les Constitutionnels ont pensé que le droit de déclarer la guerre, comme celui de conclure la paix, entrait dans les attributions propres du pouvoir exécutif et que, contre le mauvais usage qu’il serait tenté d’en faire, la nation était suffisamment protégée par le droit de refuser les subsides et les hommes et surtout par la responsabilité ministérielle. Les républicains ne se sont pas contentés de la garantie indirecte donnée par la responsabilité ministérielle, la nécessité de demander des hommes et des subsides ne leur a pas paru un frein suffisant, car le budget d’un Etat met assez d’hommes et d’argent à la disposition d’un souverain pour qu’il puisse seul engager une guerre ; le droit de déclarer la guerre devait être subordonné à un vote direct et préalable. Bien que la Constitution de 1870, ainsi que toutes les Constitutions monarchiques, eût réservé à l’Empereur seul le droit de paix et de guerre, j’avais promis au nom du Cabinet, que si nous croyions un jour la guerre inévitable, nous ne l’engagerions qu’après avoir demandé et obtenu le concours des Chambres : une discussion aurait lieu alors et, si elles ne partageaient pas notre opinion, il ne leur serait pas difficile de faire prévaloir la leur, en nous renversant.

Malgré les protestations de Brenier et de beaucoup d’autres, fidèles à notre promesse, nous ne voulûmes accomplir aucun acte de guerre en dehors du rappel des réserves, mesure facile à contremander, avant que les Chambres eussent discuté et approuvé notre politique. Nous accompagnâmes notre Déclaration d’une demande de crédit de 50 millions, crédit bien insuffisant, mais dont l’adoption ou le rejet permettrait au Corps législatif et au Sénat d’exprimer leur volonté, mieux que par des approbations ou des murmures fugitifs, par un vote solennel dont le témoignage demeurerait. La guerre avait été jusque-là un usage du pouvoir personnel[1] ; nous voulûmes qu’elle fût

  1. Même sous Louis-Philippe, Lamartine se plaignait qu’il pût en être ainsi. A propos des complications de 1840, il écrivait : « Vous en êtes, vous, nation libre, nation démocratique, nation de 89 et de 1830, vous en êtes à ouvrir anxieusement tous les matins votre journal pour savoir s’il a convenu ou non à un conciliabule de sept hommes, enfermés dans leur cabinet à Paris, de lâcher la guerre sur le monde. Appelez-vous encore, en face d’un tel scandale, une nation représentative ! » (France parlementaire, t. II. — Articles sur la question d’Orient dans le Journal de Saône-et-Loire.)