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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/498

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la dépêche, quelque altéré qu’on le fit, démentait. Gramont aurait commis cette altération et cette transposition par simple dilettantisme de fourberie, car la dépêche du 12, utile pour apprécier la conduite du Cabinet dans les négociations, n’éclairait nullement la question de savoir si la guerre devait être ou non approuvée. Ce n’est pas sur cette pièce que la guerre a été engagée, c’est uniquement sur la publication de la « Gazette de l’Allemagne du Nord » et sur les dépêches venues de Berne et de Munich.

Toute calomnie crescit eundo, s’accroît en cheminant. Bientôt ce ne fut plus Gramont ni Emile Ollivier qui avaient trompé la Commission et la Chambre et, par la Chambre, le pays, ce fut le Cabinet. Ici nous touchons au monstrueux. Voilà une douzaine d’hommes, presque tous éminens de quelque manière, ayant occupé le premier rang, soit dans l’armée et la marine, soit au barreau, soit dans l’industrie, soit dans les finances, soit dans la diplomatie : ils n’ont point ambitionné le pouvoir ; il leur a été en quelque sorte imposé par l’opinion ; ils l’ont exercé non sans succès et avec dévouement ; une bourrasque fond sur eux, ils essayent de la conjurer ; la fatalité brise leur volonté, rend vains leurs honnêtes efforts, et des écrivains n’ayant fait preuve nulle part d’une capacité quelconque, n’ayant ni commandé une division, ni rédigé même une dépêche, souvent sachant à peine tourner leurs dénigremens ou leurs invectives, de prétendus historiens, dépourvus de compétence et d’autorité, se permettent de juger à tort et à travers leurs actes sans se donner la peine ou sans avoir l’intelligence de les comprendre : c’est beaucoup. Mais ils vont plus loin ; ils accusent ces honnêtes gens d’avoir altéré des documens afin d’entraîner un vote : c’est trop ! Tous les ministres étaient pacifiques ; ils s’étaient tenus debout aussi longtemps qu’ils l’avaient pu au milieu de la passion publique afin d’empêcher la guerre ; ils avaient été contraints de s’y décider parce qu’ils croyaient l’honneur de leur pays blessé ; ils auraient serré dans leurs bras les membres de la Commission s’ils leur avaient démontré que leur susceptibilité avait été exagérée et que la dépêche d’Ems était une aménité dont on pouvait s’accommoder. Et ces mêmes gens auraient dissimulé ou altéré des pièces pour assurer le succès d’une opinion qu’ils eussent été heureux d’abandonner, dût leur chute immédiate s’ensuivre !