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prématurée. — Je trouve que vous avez eu tort[1]. — Vous savez que, sans craindre la guerre, je n’en suis pas partisan quand même. Ne nous jetons pas tête baissée dans la paix. Elle est le but auquel il faut tendre maintenant, mais il faut bien y arriver. » Ce langage du plus pacifique de mes collègues indique à quel diapason les esprits les plus modérés étaient montés. Que n’eût-il pas dit, que n’eussent pas dit avec lui nos autres collègues, et surtout Gramont, si, contre toutes les convenances, j’avais, de ma propre autorité, déclaré à la Chambre que je considérais le différend comme tranché par une dépêche encore énigmatique ? Je n’en eus pas même la tentation et je me rendis aux Tuileries pour m’en expliquer avec l’Empereur (3 heures). En traversant la salle des conférences je rencontrai Thiers. « J’aperçois, a-t-il raconté lui-même, M. Ollivier qui accourt vers moi et me dit : « Oui, nous avons réussi ; nous avons obtenu ce que nous désirions, c’est la paix. » La joie de M. Ollivier était extrême et manifestée sans réserve. » — Je lui fis lire la dépêche. Il me dit : « Maintenant il faut vous tenir tranquille. — Soyez rassuré, lui répondis-je, nous tenons la paix, nous ne la laisserons pas échapper[2]. »

L’Empereur était dans le salon de service au milieu de ses officiers, causant familièrement avec eux ; il leur disait avec un accent de sincérité qui les impressionnait : « C’est un grand soulagement pour moi. Je suis bien heureux que tout se termine ainsi. Une guerre est toujours une grosse aventure… » L’huissier annonça : « M. Emile Ollivier est aux ordres de Sa Majesté. — Je viens, » dit l’Empereur. Et il sortit. Il me parut, en effet, très satisfait, mais cependant un peu inquiet : satisfait parce qu’il jugeait l’affaire Hohenzollern complètement terminée, inquiet à cause de la déception qu’allait éprouver le pays de ne pas vider définitivement sa querelle avec la Prusse. Je lui exposai les raisons de mon silence à la Chambre et je lui demandai si c’était véritablement sur l’injonction du Roi, malgré tous ses refus à Benedetti, que la renonciation avait été obtenue. Sans entrer dans aucun détail, l’Empereur m’apprit que la renonciation était due à l’initiative d’Olozaga seul agissant de son propre mouvement, à l’insu de Prim, mais autorisé par lui l’Empereur. « Dans

  1. Chevandier ignorait à ce moment les circonstances que je viens de raconter. Quand il les connut, il trouva que je n’avais pas eu tort.
  2. Déposition dans l’enquête du 4 septembre.