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rapidement en elle. Avec un goût merveilleux, elle assortit le drapé de son voile à chaque expression et du même mouchoir se fait toutes sortes de coiffures. Le vieux chevalier tient le flambeau pour l’éclairer et se prête au spectacle de toute son âme. Il croit pouvoir découvrir en elle une ressemblance avec tous les plus fameux antiques, tous les beaux profils des médailles siciliennes, oui, et même de l’Apollon du Belvédère ! Ceci, en tout cas, est certain : il y a, là, un spectacle unique au monde… »

Comme c’était, là, une statue rose et palpitante, avec d’immenses cheveux de cet indéfinissable châtain que les Anglais appellent auburn, une statue qui, d’ailleurs, se mettait à table et engouffrait force pâtés et sablait maint flacon de porter ou de Champagne, qui chantait le Gode save the King, faisait des fautes d’orthographe, jetait les guinées par la fenêtre et disait du mal de ses amies, on la prenait généralement pour une femme. Quelques-uns même la prenaient pour une fille. On se trompait grandement. Elle n’avait pas les proportions d’une femme, mais d’une statue, — colossale et superbe. On parlait devant elle de sa beauté comme on en peut parler devant un marbre de Phidias, et elle paraissait en entendre exactement ce qu’en peut entendre un marbre de Phidias. A peine rectifiait-elle la pose. On n’imagine pas qu’une statue sache s’habiller et, en effet, lady Hamilton ne le savait pas. « Elle manquait de tournure et s’habillait très mal, dit Mme Vigée-Lebrun, dès qu’il s’agissait de faire une toilette vulgaire. » Elle ne se souvenait que de ce qu’on lui avait jeté sur les épaules dans son existence antérieure : la calyptre, la tunique, l’anabole, le péplos. Ceux qui ne la connaissaient que dans sa vie apparente de femme ne s’imaginaient pas ce qu’elle pouvait devenir dans l’autre. Sir Gilbert Elliot, parlant de ses attitudes, disait : « Elles montrent lady Hamilton sous un jour tout à fait différent de celui où je l’avais vue jusqu’ici ; rien en elle, ni sa conversation, ni ses manières, ni sa figure n’annoncent le goût très raffiné qu’elle découvre dans ce spectacle, en dehors même de l’extraordinaire talent qui est nécessaire pour l’accomplir. »

Quel modèle pour un peintre ! Romney, qui lui fut présenté par Greville en 1782, et dont l’admiration passionnée ne cessa qu’avec la vie, fit vingt-quatre fois son portrait. Reynolds, Hoppner, Lawrence, Mme Vigée-Lebrun, aussi souvent qu’ils le purent. Un des portraits faits par Mme Vigée-Lebrun est ici, à la salle