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divisée en deux partis, le parti révolutionnaire et le parti réformiste : le premier l’a emporté. Aussitôt la grève générale a été proclamée. Un manifeste a été adressé aux travailleurs de France. « Camarades, disait-il, vous connaissez l’énergie indomptable avec laquelle nos camarades postiers luttent depuis quelques jours. Livrés à leurs seules forces, peut-être seraient-ils impuissans à vaincre toutes les résistances coalisées de l’État. La Confédération générale du travail, dont le devoir est de soutenir tous les travailleurs engagés dans des batailles difficiles, a recherché les moyens d’apporter aux courageux grévistes le concours de toutes ses organisations. Elle considère que le meilleur de ces moyens, c’est la grève générale. » Si c’est le meilleur, que sont donc les autres ? La grève générale n’a dérangé personne, ou plutôt personne ne s’est dérangé pour elle. On n’y a cru, ni parmi les travailleurs, ni dans le public. Seuls, quelques terrassiers ont obéi au mot d’ordre de la Confédération générale : c’est à peine si on s’en est aperçu dans l’immensité de Paris. Tous les autres travailleurs ont continué de travailler. Il faut l’avouer d’ailleurs, la prétention était un peu forte de vouloir les obliger à se mettre en grève pour soutenir une grève qui n’existait déjà plus, si tant est qu’elle eût sérieusement existé un seul moment. Les facteurs sillonnaient les rues de Paris avec leurs boîtes, et distribuaient les lettres comme d’habitude. Télégraphe, téléphone, tubes pneumatiques, tout marchait à l’avenant. L’« énergie indomptable » des postiers, dont parlait la proclamation, était un mensonge ajouté à tant d’autres. La Confédération générale, qui ne l’ignorait pas, espérait sans doute galvaniser la grève expirante, ou même déjà expirée, par l’appui tardif qu’elle lui promettait. « Dans un esprit de profonde solidarité que vous avez certainement apprécié, disait-elle aux postiers, la Confédération générale du travail n’a pas hésité à vous apporter le concours le plus désintéressé… Vous avez vu dans quel bel élan et avec quel esprit de sacrifice de nombreux travailleurs ont répondu à l’appel de la C. G. T. L’attitude énergique de ces travailleurs doit vous encourager et vous servir d’exemple. Aujourd’hui, sans plus tarder, tous les ouvriers postiers doivent quitter le travail. » Ainsi la Confédération générale donnait pour exemple les postiers aux autres travailleurs et les autres travailleurs aux postiers. Ils ont, en effet, très exactement suivi l’exemple qu’ils se donnaient mutuellement ; ils ont tous repris ou continué leur travail, laissant la Confédération générale vaticiner dans le désert. Les postiers étaient désabusés, dégrisés, pour longtemps sans doute ; il était trop tard pour les secourir et personne n’y songeait, à l’exception de ces terrassiers, qui sont toujours prêts à