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se mettre en grève et se croient sans cesse à la veille du Grand Soir. Leur geste a d’ailleurs été court. Comme il y a une justice, ils ont fini par montrer le poing à M. Pataud qui se rendait à la Bourse du travail, et à lui dire entre leurs dents : « C’est toi qui, par tes déclarations, nous a embarqués dans cette grève, et, maintenant, tu « flanches ; » fais attention ! » Ils auraient pu en dire autant à beaucoup d’autres.

De ces événemens sort une leçon pour tout le monde, pour les ouvriers et pour le gouvernement. Ce que nous venons de dire nous dispense de revenir sur la leçon qui s’adresse aux ouvriers : ils savent désormais quelle confiance ils doivent à ceux qui les poussent, les encouragent, et les lâchent. Quant au gouvernement, il peut mesurer aujourd’hui la force devant laquelle il a reculé au mois de mars dernier. Les syndicats sont de très habiles metteurs en scène, le mot de bluff s’applique on ne peut mieux à leur action ; les grandes phrases leur sont familières, et ils leur donnent volontiers une allure menaçante ; mais on vient de voir ce qu’il y a derrière cet étalage ; imposant. Les grévistes étaient sans doute plus unis et plus nombreux il y a deux mois qu’aujourd’hui ; ils n’étaient pas sensiblement plus forts ; seulement le gouvernement était plus faible. Il a même donné une idée excessive de sa faiblesse, et c’est en cela seulement que les grévistes peuvent l’accuser de les avoir trompés. Ils ont trop cru à la permanence de la faiblesse gouvernementale, et ils ont été très étonnés lorsque, au bout de quelques semaines, ils ont trouvé en face d’eux un M. Clemenceau tout changé. Aussi, ont-ils eu tout de suite l’impression, et nous l’avons eue comme eux, que l’affaire tournerait autrement que la première fois. M. Clemenceau leur aurait épargné une grande déception s’il s’était montré au mois de mars plus résolu et plus ferme, et il aurait, du même coup, épargné au gouvernement quelque humiliation.

Il y a longtemps, très longtemps déjà, que le gouvernement avait promis de déposer un projet de loi qui établirait sur des bases fixes le statut des fonctionnaires, puis il n’y avait plus songé. Les événemens d’hier l’ont obligé à y penser de nouveau, et même à tenir sa promesse. Le projet de loi est déposé. Si les agitations de ces derniers mois ont pour résultat de le faire voter, après qu’il aura été convenablement amendé, elles n’auront pas été tout à fait inutiles. Non pas que nous regardions le statut légal des fonctionnaires comme une chose bonne en soi. Dans un pays où il y a un gouvernement libre et fort, qui a conscience de ses devoirs et qui, loin d’être assujetti aux basses influences, les domine au lieu d’en être dominé, les