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En creusant mes pensées, cette retraite me parut un acte d’égoïsme condamnable. C’eût été, comme les Saxons, au milieu de la bataille, passer à l’ennemi, donner raison à Bismarck, augmenter l’arrogance de ses refus, convier l’Europe à se prononcer contre nous, enfin détruire l’unique espérance de paix qui nous restait encore. Je n’avais aucun doute sur ce qui allait advenir. Le roi de Prusse approuverait la renonciation, mais il repousserait toute promesse de garanties. A la suite de ma démission, un ministère de guerre, tout préparé dans la coulisse, me remplacerait et répondrait au refus du Roi par de hautaines insistances dont la guerre serait inévitablement sortie. En demeurant aux affaires, j’avais au contraire l’espérance de faire annuler la demande de garanties et d’obtenir du Conseil et de l’Empereur lui-même qu’ils accepteraient le refus du Roi sans prolonger la crise par d’inutiles insistances. Quand Daru envoya son memorandum sans consulter le Conseil, je ne m’étais pas retiré, et j’avais réussi à anéantir ce mémorandum. C’était encore la meilleure conduite à suivre. J’étais certain de la majorité dans le Conseil ; la Chambre me suivrait-elle et ne succomberais-je pas sous une coalition de Droite et de Gauche ? Je ne le croyais pas, tant que l’Empereur serait avec moi. Dans tous les cas, je tomberais noblement, n’ayant pas sacrifié l’intérêt de mon pays à une susceptibilité personnelle, quelque légitime qu’elle fût. Je n’envoyai donc pas ma démission. Par là, il est vrai, je me rendais solidaire officiellement d’un acte que je déplorais. En apparence, je m’y associais, mais comme le paratonnerre s’associe à la foudre pour la conjurer.


EMILE OLLIVIER.