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toujours le plus fort qui conduit. Il prépare pour l’Empereur le rôle du Neptune de Virgile jetant son quos ego et calmant d’un geste l’émotion des flots, Depuis six mois la diplomatie européenne se démenait sans aboutir, s’empêtrait dans les redites : l’Empereur et le chancelier choisissent le « moment psychologique, » et, montrant d’un geste les soldats et les canons de l’Empire, terminent la crise en quelques heures ; après quoi, ils paraissent sur le devant de la scène en sauveurs de la paix européenne. C’est l’Allemagne qui, grâce à cette tactique habile, recueille aujourd’hui les bénéfices. Comme deux chevaux de la même écurie, l’Allemagne et l’Autriche ont été d’intelligence pour faire la course ; mais, si c’est l’Autriche qui a mené le train, c’est l’Allemagne qui gagne le prix.

La conférence avortée a été pour l’Allemagne l’occasion d’une revanche de sa déconvenue à la conférence d’Algésiras ; les deux crises se sont développées dans des conditions sinon analogues, du moins comparables, mais elles diffèrent par la conclusion. De même que la question du Maroc n’avait été qu’un « prétexte, » — le mot est du prince de Bülow, — pour essayer la force de résistance de l’entente franco-anglaise, de même aussi la question de Bosnie a été une occasion de mettre à l’épreuve la triple entente de l’Angleterre avec la Russie et la France. Si l’issue n’a pas été la même, ce n’est pas à la solidité de l’une ou de l’autre combinaison qu’il en faut demander le secret ; mais, au Maroc, l’Allemagne était mal engagée, elle nous cherchait une querelle maladroite ; dans les affaires de Bosnie, au contraire, c’est la Russie, nous l’avons montré, qui n’avait pas les mains libres. Il sera permis de dire aussi que, du côté de la Triple Entente, la campagne de Bosnie fut moins bien conduite que celle d’Algésiras.

Tout l’effort de la politique allemande s’emploie à glisser le levier aux jointures de l’alliance franco-russe et de la Triple Entente et, en exerçant une pesée au moment opportun, à les disloquer. L’Alliance franco-russe rompue ou relâchée, la France resterait seule avec l’Angleterre, son armée serait isolée en face des masses allemandes : les puissances occidentales, qualifiées de « révolutionnaires, » demeureraient seules en face de l’alliance restaurée des trois empereurs. En mêlant la séduction à l’intimidation, la diplomatie allemande cherche à détacher la Russie. Les démarches pacifiques faites par le Cabinet de Paris pour