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Tous ces souvenirs réunis valurent au savant abbé une des plus jolies lettres qu’ait écrites l’intendant d’Auvergne ; en voici les principaux passages :


Paris, le 10 mars 1769.

« J’ai eu l’honneur de passer chez vous, monsieur, pour une affaire qui m’affecte et qui ne peut vous être indifférente, puisque c’est celle de l’humanité : déjà, une multitude de plaintes lui ont donné trop de célébrité dans les tribunaux de justice et dans les cabinets des ministres.

« Vous savez, monsieur, qu’il existe, dans ma généralité une ville dont M. Grozat est seigneur et porte le nom ; c’est la ville de Thiers, la plus commerçante de ma généralité, l’une des plus peuplées et des plus malheureuses. Il n’en est point où les habitans aient plus d’activité pour le travail, plus d’avidité pour le gain, plus de goût, plus de talent ; mais je crains qu’ils ne perdent bientôt le courage et la folie, précieuse pour l’Etat, de donner le jour à des malheureux. Un droit fort dur, quoique assez commun, et plus dura Thiers qu’ailleurs par l’exorbitance du taux auquel il est porté, une leyde s’y perçoit, au profit du seigneur, qui consiste dans le vingt-quatrième des grains qui se vendent à la ville et même de ceux qui passent de l’Auvergne dans le Forez et le Lyonnais, lorsqu’ils séjournent dans Thiers, et il est moralement impossible, par la situation de la ville, qu’ils n’y séjournent pas. Je sais que ce droit a une origine ancienne, qu’il est possible qu’autrefois les habitans de Thiers aient été persuadés de donner à leurs seigneurs qui avaient des troupes, et les armes à la main, une partie des grains qui entrent dans leurs villes, à condition qu’ils empêcheraient les ennemis de les piller… Je connais aussi assez le monde et les lois, pour être convaincu qu’une vieille usurpation est un titre ; mais ce droit perçu autrefois avec modération est devenu exorbitant, on l’a étendu, il faut maintenant que les habitans de Thiers payent la leyde dans tous les cas ; la chose vient d’être ainsi jugée, par des sentences, des arrêts du Parlement, et autres parchemins fort respectables, qui n’empêchent pas que les habitans de Thiers aient faim ; ils ont voulu se pourvoir en interprétation ou cassation de l’arrêt ; mais il leur en a déjà assez coûté pour être convaincus juridiquement que leur estomac doit contenir un vingt-quatrième de moins que les autres. Si M. de Thiers avait vu comme moi,