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organisation fut complète pour retirer les troupes qu’elles avaient laissées dans l’île afin d’y assurer le maintien de l’ordre, et l’année dernière, il a été formellement convenu que l’évacuation serait terminée dans le courant de juillet prochain.

Voilà, en somme, tous les engagemens que les puissances ont pris envers la Grèce : rien de moins, mais rien de plus. Elles en ont pris un autre envers la Porte, à savoir que sa souveraineté sur l’île serait maintenue. On assure qu’il y a là une contradiction ; nous ne l’apercevons pas distinctement : il va seulement une difficulté. La difficulté consiste à demander à la Grèce, ou plutôt à obtenir d’elle une prolongation de la patience qu’elle a montrée jusqu’ici, et nous reconnaissons qu’elle en a montré beaucoup dans ces derniers temps. Mais a-t-elle épuisé tout ce qu’elle en avait ? Si elle l’a épuisé, la situation peut devenir très inquiétante, car la Grèce s’exposera à perdre en quelques jours le bénéfice de la sagesse dont elle a fait preuve jusqu’ici, et l’Europe pourra pende chose pour elle. Croit-elle que l’occasion soit favorable pour la réalisation complète de ses espérances ? Dans ce cas, elle se trompe. L’occasion, au contraire, n’a jamais été plus défavorable, et la moindre prudence conseille d’en attendre une meilleure. Il semble que la Crète étant maîtresse d’elle-même, comme elle l’est en fait, la Grèce soit dans une situation propre à lui rendre cette prudence facile et légère. La logique immanente des choses travaille pour elle ; qu’elle la laisse faire ; le seul péril serait de vouloir la brusquer.

La Grèce, avons-nous dit, a montré, dans ces derniers temps, une vraie sagesse. Lorsque la Bulgarie a proclamé son indépendance et que l’Autriche a proclamé l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie, la Crète, par une sorte de mouvement réflexe, a proclamé de son côté son annexion à la Grèce. On s’y attendait ; elle ne pouvait peut-être pas faire moins ; mais cette proclamation n’a rien changé dans l’île, et la Grèce a eu le bon esprit, dont il faut lui savoir gré, de ne pas ajouter inutilement de nouveaux embarras à ceux avec lesquels l’Europe s’est trouvée aux prises : ils étaient déjà assez grands. L’Europe a contracté alors envers elle une dette morale, qu’elle acquittera un jour ; mais elle a le droit d’attendre ce jour, de le choisir, et de s’opposer à ce qu’on lui force la main. Il est tout naturel qu’une plus longue attente soit pénible à la Grèce ; lorsque les puissances ont annoncé, l’année dernière, qu’elles évacueraient en juillet 1909, elle a pu croire que c’était là pour elle une échéance fatidique dont personne ne s’étonnerait qu’elle profitât. Nous ne nous en étonnerions nullement,