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Il resterait à montrer à l’œuvre le favoritisme politique. Le public, qui le voit partout régner en maître, en imaginera les effets dans la marine. On y a connu l’épanouissement du régime des fiches, au beau temps du combisme. La protection des loges a fait des amiraux, attribué des commandemens. L’appui de tel groupement civil transforme le sort de toute une catégorie d’officiers, son hostilité cause la disgrâce d’un amiral commandant en chef. Quant au personnel auxiliaire, il dépend tout entier, là comme ailleurs, de la recommandation politique. Le papier à en-tête du Sénat et de la Chambre, tiré pour l’un à 104 modèles et formats en raison des cas variés dont il reçoit la confidence, fournit à un commerce épistolaire formidable, en faveur de tous les protégés des 1 200 circonscriptions. Une part de cette avalanche vient encombrer le ministre de la Marine et ses chefs de service. Et il faut ajouter les visites, soit individuelles, soit collectives.

On conçoit ce qu’y perd l’Administration en liberté dans ses choix, en valeur technique dans son personnel, en efficacité dans son action. On devine aussi combien en souffre la discipline. Fort entamée parmi les ouvriers des ports, ébranlée dans les équipages, atteinte même à certains égards chez les officiers, elle fléchit partout. Aux ouvriers, le député, le sous-préfet, et jusqu’à des ministres de la Marine ont soufflé avec l’esprit révolutionnaire l’indiscipline professionnelle. C’était trop peu de l’indulgence, voire de la faveur, encourageant leurs syndicats les plus violens : M. Pelletan se plut à leur sacrifier avec éclat les amiraux, chefs suprêmes de l’arsenal. Une mesure « humanitaire » avait déjà versé dans les équipages, sur nos bateaux, tous les repris de justice, professeurs d’anarchie, que la marine autrefois laissait prudemment à part, — lorsque le même M. Pelletan s’avisa de ligotter la répression dans les mailles d’un tarif obligatoirement réduit. Et l’on accueillit au ministère les réclamations directes d’hommes régulièrement punis ; on effaça les punitions. On s’attachait à démentir l’autorité des officiers, à les déconsidérer devant leurs subordonnés. Les faits sont d’hier. Ils traduisaient une théorie sociale, réalisaient une politique attachée à maintenir l’antimilitarisme à la tête des armées.

Soumise à tant d’influences pernicieuses, ayant reçu pour alimenter son industrie guerrière tant de mauvaise monnaie, la marine ne pouvait rendre plus de puissance militaire qu’on ne