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seule tête. Il lui manque, pourrait-on dire, d’être cloisonnée ; de se diviser entre des limites où s’arrêtent également et le pouvoir d’en haut, respectueux des compétences, et les initiatives d’en bas, conscientes de leurs droits, mais non de leurs bornes. Ce cloisonnement voudrait ici la fermeté, du caractère et là quelque modération, vertus également rares des deux côtés.

A tous les degrés de la hiérarchie en tous les points de contact des pouvoirs superposés se retrouve donc la même erreur, et un supérieur toujours envahissant en face d’un inférieur qui se laisse envahir. Tout Français détenteur d’une fonction publique ou privée s’applique à réduire la personnalité de ses auxiliaires. Le chef ne se contente pas d’être chef ; faute de la bien mesurer, ou parce qu’elle lui est disputée d’en haut, sa responsabilité de direction ne suffit pas à l’assouvir : il pénètre dans le domaine de ses sous-ordres. Il partage alors et par là détruit la responsabilité d’exécution, de surveillance, de vérification appartenant aux agens de la mise en œuvre. Pour un menu détail fautif, on ne saurait frapper sans injustice l’exécuteur couvert par un ordre. Mais punir le chef, haut personnage, accablé d’autres soins incomparablement plus graves, qui de loin, sans voir, imposait ses exigences et peut-être croyait bien faire, serait absurde et disproportionné. La responsabilité s’évanouit.

Elle disparaît plus facilement encore au sein des comités. Si la pression du pouvoir ne s’y exerce pas moins, la résistance des caractères s’y divise autant que la proportion des intérêts directs et la part de suffrage. Entre amiraux, aucun n’a qualité pour imposer ni la raison, ni l’héroïsme ; chacun peut s’abriter derrière la masse. Réunissant, au contraire, des spécialistes divers, un comité composite opinera sur chaque ordre de questions d’après le technicien de cet ordre ; mais, en le déchargeant matériellement et moralement des conséquences de la décision commune, on aura faussé d’avance, jusqu’en son propre esprit, cet avis qu’il émet. La sagesse administrative est faite de scrupules plus impalpables que la poussière d’une aile de papillon : si légèrement qu’on pense y toucher, on en altère le dessin.

Il n’y a donc de vraie responsabilité, juste et efficace, c’est-à-dire clairvoyante, que celle qui, libre et entière, doit s’étendre jusqu’à l’exécution.

Ce régime de contrainte irresponsable, où le ministre évoque