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les moindres affaires, et qui étouffe les initiatives dans l’ordre administratif, nous le retrouvons dans l’ordre militaire. Le pouvoir central y intervient, comme nous l’avons dit, dans la discipline. Il intervient aussi dans l’instruction, soit directement, soit en restreignant la liberté d’allure des escadres. Quant aux navires en campagne, ils ne se déplacent plus que sur dépêche. Le caractère des chefs, ainsi bridés, s’atrophie faute d’usage. Le commandement n’est plus cette école de décision qui fait les hommes de guerre. Mais que penser des sous-ordres ? Les infortunés « seconds » de nos bateaux végètent dans une dépendance que ce titre à lui seul symbolise. Au-dessous d’eux s’étend un mécanisme moral où l’être humain n’est trop souvent qu’un intermédiaire inerte. A qui ne veut que des instrumens les hommes cessent de constituer des aides bien efficaces. Que le « second » règle par-dessus la tête de l’officier spécialiste l’entretien de son matériel et l’instruction de son personnel ; que le commandant dirige en personne tous les mouvemens où pourrait s’exercer le coup d’œil d’un officier de quart, ces quotidiennes usurpations anéantissent chez les subordonnés et l’énergie et l’espoir de perfectionnement. S’il est une marine où le service en sous-ordre ne forme pas à commander, c’est sans doute la nôtre.

Mais pourquoi les pouvoirs successifs, empiétant ainsi les uns sur les autres, à la fois usurpent-ils le domaine d’autrui et se laissent-ils évincer du leur ? On en trouverait une raison dans l’essentielle timidité développée par le despotisme. La même faiblesse qui cède à la pression ministérielle devient, par un retour singulier, la principale de ces passions envahissantes opposées au cantonnement des responsabilités. Si le chef intermédiaire se substitue à un subordonné dans ses légitimes initiatives, c’est par peur des incidens. Il manque du courage nécessaire pour supporter les risques de la confiance. Risques accrus, il est vrai, par les colères d’en haut et la confusion des responsabilités. Pour se faire mieux obéir et se couvrir plus sûrement, chacun, renforçant sa propre contrainte de toutes les forces d’autorité étagées sous lui, veut engager dans ses contrariétés toute la hiérarchie qu’il commande. Il la tient solidaire des fautes qui pourraient susciter quelque « affaire. » Pour punir et prévenir celles-ci, sa peur arme contre elles d’autres peurs. Mais ne voyons-nous pas les Chambres elles-mêmes juger,