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traînent les convictions les plus récalcitrantes. Il en est autrement dans l’ordre littéraire. Même un chef-d’œuvre, je dirai : surtout un chef-d’œuvre, a besoin de quelque temps pour forcer l’admiration. Le grand écrivain n’est grand qu’à la condition d’être lui-même. Plus il est original, plus il court la chance de se voir attaqué ; car il déconcerte, il dérange des habitudes. Le Cid a eu des contradicteurs ; on n’a pas compris du premier coup la grandeur d’Athalie. Inversement, Huet se pâmait devant les vers de Chapelain. Mme  de Sévigné, qui aimait tant La Fontaine, mettait Benserade sur la même ligne que lui. Et elle parle de Du Ryer à propos de Racine ! Erreurs singulières, que nous reconnaissons aujourd’hui, qu’il faut reconnaître, qu’il faut savoir excuser.

Enfin les élections à l’Académie française ont un caractère qui leur est propre : elles ne peuvent pas ressembler tout à fait à celles des autres corps. Sans doute, en bonne règle, là comme ailleurs, on doit nommer le plus digne ; mais en même temps, là plus qu’ailleurs, on doit tenir compte du sentiment qui règne au dehors. Quand il s’agit de pourvoir à une place de savant ou d’èrudit, la foule est bien obligée d’admettre qu’elle est incompétente et qu’elle n’a qu’à se taire ; elle laisse l’Académie des Sciences ou celle des Inscriptions choisir librement et s’incline. Mais dès qu’il est question de littérature, chacun se croit le droit d’avoir un avis, chacun se reconnaît du goût.

Il s’établit des courans d’opinion que l’Académie française ne peut entièrement négliger, une pression à laquelle elle ne peut toujours se soustraire. Elle sait qu’il y a des juges pour reviser ses jugemens. Si elle désire ménager sa situation, il lui faut écouter dans une certaine mesure les vœux du public et risquer ainsi, quand le public se trompe, de se tromper avec lui. Or, nous venons de le dire, il se trompe souvent. Combien de fois ses goûts ne sont que des engouemens, des caprices, des modes ! Il surgit des grands hommes d’un moment. Plus tard, on s’étonne qu’ils aient été élus, et de pareils choix paraissent des faiblesses coupables. Le goût a changé ; on ne comprend plus. Mais dans le temps qu’ils brillaient, ces écrivains aux grâces maintenant fanées, on se serait indigné que l’Académie ne leur eût pas fait une place dans ses rangs, et ceux mêmes qui voyaient ce que leur éclat avait d’éphémère étaient entraînés à céder au bruit général. Les salons, au xviie siècle, surtout au xviiie, ont beau-