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coup contribué à surfaire ainsi les réputations. Des hommes d’esprit, de brillans causeurs, passaient aisément pour des manières de génie. Et à supposer qu’ils en eussent, comme ils causaient beaucoup mais écrivaient fort peu, leur gloire est restée viagère ; rien ne la justifie plus aujourd’hui. Qu’il soit donc arrivé à l’Académie de nommer des gens qui le méritaient peu ou ne le méritaient point, nul ne le conteste, mais nous avons voulu en donner les raisons. Elle serait plus blâmable, si elle avait, comme on l’en accuse, fermé sa porte au talent. Or, sur ce point, nous pouvons la défendre hardiment. D’Alembert[1] remarque qu’elle a toujours choisi « ce que les conjonctures, quelquefois contraires à ses vues, lui permettaient de choisir, » et qu’avant de la critiquer pour les quelques noms illustres qu’elle n’a pas adoptés, on devrait a peser dans la balance de l’équité » les circonstances qui l’ont empêchée de les accueillir. On a travaillé ainsi, sans en avoir le droit, à grossir le nombre des grands hommes injustement oubliés. Le 41e fauteuil est devenu le plus occupé des fauteuils. Mais qu’y a-t-on mis ? Descartes ? Il vivait en Hollande, quand l’Académie fut fondée, et se retira plus tard en Suède, à six cents lieues de la France. Pascal ? Il comptait alors plutôt comme physicien et, en tout cas, il lui était interdit de signer l’œuvre qui aurait pu lui mériter les suffrages de la compagnie. Saint-Simon ? Ce grand seigneur intraitable aurait-il souffert qu’on lui proposât de prendre place parmi des gens « de roture ou de vile bourgeoisie, » et n’aurait-il pas insolemment répondu qu’il n’était pas un sujet académique ? Il y a Molière, il est vrai. Et c’est bien autour de lui que le fort de la bataille se livre ; c’est son nom qu’on ne se lasse pas de citer, de jeter à la tête de l’Académie, pour lui prouver son injustice. Assurément, il est très fâcheux qu’on n’ait pas trouvé quelque moyen de l’admettre. L’Académie sentait bien, la première, qu’elle se faisait du tort en ne le comptant pas parmi ses membres. Elle ne l’a pas caché ; elle a placé plus tard le buste du poète dans la salle de ses séances avec l’inscription fameuse : Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre. Mais quoi ! Par un scrupule très honorable, il refusait de quitter sa troupe, dont il assurait l’existence. Le grand comique entendait rester aussi comédien. Or, c’était se déshonorer, dans

  1. D’Alembert, ibid., II, p. 296