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sans raison, pourvu que l’usage les autorise ; la bizarrerie n’est bonne nulle part que là[1]. » Une langue uniquement raisonnable et logique, sans aucun idiotisme, serait une pauvre chose, sèche et froide, dénuée de grâce et de souplesse. La langue enregistrée dans le dictionnaire sera donc, et sera seulement, celle qu’on parle dans le monde. « L’Académie, dit la première édition, s’est retranchée à la langue commune, telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnêtes gens. » Aussi Vaugelas n’a-t-il pas appelé des savans à collaborer avec lui ; c’est aux « honnêtes gens, » aux gens du monde qu’il a confié le travail, à des gens n’ayant point de connaissances spéciales et ne se piquant de savoir, en fait de langage, que ce que sait et emploie tout homme distingué dans le train ordinaire de l’existence.

Le mot une fois adopté conformément au bon usage[2], il fallait le définir et en montrer l’emploi à l’aide d’un exemple. Comment choisir ces exemples ? Il semblait naturel de demander aux écrivains renommés des modèles de beau langage, et Chapelain tenait en effet pour les citations des auteurs. Mais Vaugelas fut d’un autre avis, et ses raisons entraînèrent ses confrères. Il n’eut pas de peine à leur montrer qu’une citation n’est bonne que si elle est tirée d’un ouvrage qui fasse autorité ; mais de pareilles autorités, qui setrouvent aisément aux époques de perfection classique, n’existaient pas, ne pouvaient même exister au temps où ils vivaient, puisque le rôle de l’Académie était justement d’aider la langue et la littérature à naître. De plus, une phrase toute faite, même puisée à une bonne source, ne s’applique souvent qu’avec un certain effort à la définition qu’on veut illustrer ; comme elle n’a pas été écrite dans cette vue, ou elle est trop longue, ou elle n’est pas assez caractéristique ; des deux façons, elle ne dit pas exactement ce qu’il faut faire entendre. A l’exemple emprunté, Vaugelas préférait l’exemple créé pour la circonstance, composé tout exprès pour rendre sensible la force du mot et marquer l’étendue de sa signification ; il est plus simple, plus précis, il

  1. Vaugelas, Remarques, I, p. 286.
  2. Vaugelas définit le bon usage « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des Auteurs du temps. » « Ce n’est pas pourtant, ajoute-t-il, que la Cour ne contribue incomparablement plus à l’usage que les Auteurs ni qu’il n’y ait aucune proportion de l’un à l’autre. Car enfin la parole qui se prononce est la première en ordre et en dignité, puisque celle qui est écrite n’est que son image, comme l’autre est l’image de la pensée. » Remarques (éd. Chassang), préface, I, p. 13.