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M. Inazo-Nitobé, docteur en philosophie et professeur au collège d’agriculture de Sapporo, a publié en l’an 2561 (1901), à Tokyo, un livre intitulé : Bushido, l’âme du Japon. Il explique que « Bushido, » dont la traduction littérale est « la Voie des chevaliers, » est un système d’éthique qui se résume par le « Noblesse oblige » européen. Il est, dit-il, écrit dans les replis du cœur japonais, et il résulte de la culture morale enseignée par tant de siècles de pratiques guerrières. Sentiment de calme fataliste, soumission tranquille à l’inévitable, attitude stoïque vis-à-vis d’un danger ou d’une calamité, dédain de la vie. Rien ne révèle mieux les ressorts cachés dans le cœur d’un homme que l’événement qui le place entre le choix de la vie ou de la mort ; par conséquent, rien ne fait mieux connaître le caractère d’une nation qu’une guerre entre deux peuples. Le guerrier observe le Bushido dans toutes les circonstances, aussi bien dans ses foyers que sur le champ de bataille. Il doit tenir sa parole, mépriser la lâcheté et affronter bravement l’humiliation qui, pour lui, va entraîner la mort. Personne n’a créé le Bushido, et personne ne peut dire à quelle époque il est né. Il a grandi spontanément et naturellement parmi le peuple. Il est la manifestation de la création divine de l’homme. Le Bushido est aussi puissant de nos jours qu’il l’a jamais été. Anciennement, il ne s’appliquait qu’à la noblesse et à ses vassaux. Les artisans et les commerçans n’avaient pas à le connaître : le mépris de leurs professions en était d’ailleurs la conséquence. Mais, actuellement, le service obligatoire appelle toutes les classes sous les armes. Le plus modeste coolie est obligé de servir de la même manière que le gentilhomme de la plus haute noblesse, et le gouvernement impérial a dû pourvoir la nation d’un système ‘d’éducation dans lequel toutes les classes de citoyens pourraient être instruites à remplir leur devoir, militaire comme civil. L’esprit du Bushido anime le système d’éthique adopté. Il pénètre tellement dans le cœur du peuple qu’on le retrouve dans les impressions que les sanglantes batailles de Mandchourie ont laissées aux anciens soldats. « Les âmes de nos pères, disent-ils, guidaient nos bras et battaient dans nos cœurs. Nous les sentions flotter autour de nous. Elles nous accompagnaient, recueillaient ceux de nous qui tombaient et montraient aux vivans le chemin du devoir. »

Dans l’expression de cette foi se trouve l’origine de ce mépris de la mort si caractéristique du soldat japonais. Il sait qu’en