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étant tué, il deviendra pour sa famille l’ancêtre glorieux et respecté. Sa mémoire sera l’objet d’un culte, et son souvenir exercera une action bienfaisante sur les siens. On comprend dès lors ce désir de la mort, qui se manifestait souvent quand il était fait appel à des volontaires. Après le combat, les corps sont incinérés, ceux des officiers à part, et une cérémonie religieuse a lieu. Le gouvernement fait ensuite parvenir aux familles une ampoule contenant de la cendre de leurs morts. Le temple de Shokonsha, situé sur une des plus grandes places de Tokyo, est consacré à la mémoire des soldats morts sur le champ de bataille. Chaque année, une grande cérémonie religieuse rappelle à tous la mémoire des héros. L’Empereur, l’Impératrice, les principaux personnages de l’Etat, assistent en grande pompe à cette solennité. Le retour se fait par une large avenue, bordée de chaque côté par quatre rangées de cerisiers sauvages. Au milieu d’avril, ils forment un dais ininterrompu de fleurs, et les Japonais se rappellent alors les vers de leur poète favori, Motoori : « Si quelqu’un vous demande : Connaissez-vous l’âme japonaise ? montrez-lui la fleur du cerisier sauvage étincelante au soleil. Cette fleur est la première éclose du printemps, comme le guerrier est le premier parmi les hommes. »

La préparation morale de l’armée est donc aussi intensive que sa préparation matérielle, et l’on peut admettre que celle-ci est à peu près terminée. Loin de faire état de sa puissance, le gouvernement s’efforce de la dissimuler. Il fait remarquer les imperfections révélées par la dernière campagne et le recueillement auquel il est tenu pour y remédier. Mais il se souvient du passé. Lorsque, après sa première guerre avec la Chine, il s’est vu forcé de se soumettre à l’action de l’Europe, son humiliation a été grande. Il en a souffert plus qu’on ne veut en convenir, et il est résolu à ne pas la subir à nouveau. Il est en Corée et en Manchourie, il y restera. A l’heure actuelle, il ne songe pas à autre chose. Toutefois, il se rend compte des efforts qui seront faits pour l’en chasser et il se prépare à s’y opposer. Pour le moment il se borne à réclamer l’exécution des clauses du traité de Portsmouth. La Chine mal conseillée, car elle est hors d’état de résister, cherche à éluder leur application. Si un conflit vient à éclater, elle trouvera le Japon prêt à y faire face. Il est inutile d’examiner aujourd’hui s’il reprend l’ancien rêve de 1598, la domination de la Chine, mais il est