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l‘Opéra-Comique du moins, — ce n’est pas l’homme, et la femme pas davantage. À ces messieurs comme à ces dames, le style est ce qui manque le plus, j’entends le style qui sied pour chanter Mozart. Il consiste premièrement dans le sens, ou seulement la notion de la forme sonore, de l’organisme délicat et fragile qu’est une phrase de Mozart, et de tous les élémens qui la composent : le rythme et la mesure, le mouvement, les valeurs, la ligne et chacune des notes, ou des points, dont elle est formée. Et puis, sous l’apparence exquise, je dirais presque sous le corps déjà divin de cette musique, il serait bon d’en saisir l’âme plus divine encore, de la comprendre et de l’aimer. Pas plus qu’Horatio dans le ciel et sur la terre, vous ne soupçonnez tout ce qu’il y a dans les chants confiés à vos lèvres, ne fût-ce que dans vos noms mystérieux, ô Tamino, Sarastro, et vous-même, ô Pamina, sans oublier la Reine de la Nuit. Pourtant, comme en des riens tout cela se découvre ! On parle toujours, et l’on n’en saurait trop parler, des cadences de Mozart, de la façon dont la phrase de Mozart finit ou se pose. Mais comme elle commence aussi ! Rappelez-vous le premier air de Tamino, l’adagio de la Reine de la Nuit, les deux airs de Sarastro : en une ou deux mesures à peine, dans la courbe des premières notes, quel infini de pensée et de sentiment se dévoile ! La mélodie de Mozart, le début seul de cette mélodie, fait mieux que représenter son objet : elle le dépasse et le déborde, elle l’étend et l’exalte ; autant qu’une forme en soi-même admirable, elle est le signe d’un ordre ou d’un monde encore plus vaste et plus profond. Simple, discrète, elle tient peu de place et fait peu de bruit. Elle n’en possède pas moins, au suprême degré, ce caractère ou cette vertu, que Taine regardait comme l’un des deux élémens essentiels de l’œuvre d’art : la généralité.

Dans la Flûte Enchantée, la situation peut être insignifiante, et médiocre le personnage, la musique, avec trois ou quatre notes, se charge de les transfigurer, de leur conférer une valeur inattendue, une éminente et parfois auguste dignité. Un jeune prince d’Orient, et de vague féerie, Tamino, reçoit de la main des trois « dames » le portrait d’une certaine, ou plutôt d’une incertaine Pamina, qu’il cherche sans la connaître et qu’il aime sans l’avoir vue. Rien n’est plus anodin, moins intéressant que cet épisode. Et rien n’égale la cantilène dont il est le prétexte, en noblesse, en profondeur, en pureté. Le poème de la douleur maternelle, la recherche inquiète et la plainte d’une Cérès ou d’une Niobé, la poésie ensuite et le scintillement d’un ciel criblé d’étoiles, voilà le premier air, tour à tour pathétique et pittoresque,