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et mieux que les autres ; mais on peut être sûr qu’un jour prochain les autres demanderont à être traités aussi bien qu’eux, et que les bons argumens ne leur manqueront pas pour l’exiger à leur tour. Ce qu’on fait pour les cheminots est monstrueux. Nous n’appliquons pas ce mot aux retraites anticipées qu’on leur accorde ; quelques-unes de ces anticipations, non pas toutes, peuvent se justifier ; mais nous l’appliquons au procédé lui-même par lequel l’État intervient dans un contrat pour en modifier les termes, en faisant une loi contre la légalité. Si l’État avait voulu seulement l’unification des retraites dans les compagnies de chemin de fer, il aurait pu user de son autorité sur elles pour l’obtenir peu à peu de leur déférence à son égard et de leur bonne volonté envers les ouvriers. Mais il aurait fallu y mettre du temps et des formes : on était pressé, on aimait mieux n’avoir pas à se gêner. En conséquence, on a introduit devant la Chambre un projet de loi par lequel l’État, — gouvernement et parlement réunis, — légiférait pour modifier unilatéralement un contrat où il avait été partie et dont il s’instituait souverainement maître. Quel précédent redoutable ! Quand on l’aura créé, on ne voit pas où s’arrêtera l’omnipotence de l’État dans ses rapports avec les industries qui proviennent d’une concession primitive faite par lui et sur lesquelles il continue d’exercer un contrôle. Si les compagnies sont liées par le cahier des charges qu’elles ont accepté, on avait cru jusqu’à ce jour que l’État l’était aussi par le même cahier qu’il avait imposé. Il paraît qu’il n’en est rien et que, en cours d’exploitation de la concession, l’État a droit d’intervenir comme un être supérieur qui est au-dessus des lois puisqu’il les fait, au-dessus des contrats puisqu’il les viole, et qui, au mépris du vieil adage que donner et retenir ne vaut, ne donne rien, même sous condition, qu’il ne puisse reprendre, ou amoindrir, ou changer. C’est contre cette manière d’opérer que M. Poincaré a protesté en son nom personnel, tout en y donnant un avis favorable au nom de la Commission des finances : on comprend qu’il n’ait pas eu envie d’être exposé à recommencer. Une pareille intervention de l’État, a-t-il dit, est le fait du prince sous sa forme la plus arbitraire et la plus brutale ; rien ne saurait la justifier. Le Sénat a écouté ce ferme langage ; il a eu certainement l’impression secrète que M. Poincaré avait raison et que les termes dont il se servait n’étaient nullement exagérés ; mais quoi ! il se sentait débordé, entraîné. La loi n’avait-elle pas été votée par la Chambre à la majorité écrasante de 480 voix contre 11 ? La Chambi-c vote quelquefois une loi avec d’autant plus d’ensemble qu’elle compte sur le Sénat pour l’arrêter : le Sénat vote