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Les choses en étaient là le 27 novembre, et toute l’Italie, en l’apprenant, en fut en émoi, bien aise au fond de ce scandale, et se gaussant du Saint-Père, que les tyranneaux de la péninsule considéraient comme leur tyran à tous.

Le précepteur Tizio avait été, à Sienne, des premiers à l’apprendre, par les seigneurs français qu’il hébergeait au palais Piccolomini : l’un d’eux, le principal de ces hôtes de passage, était un haut officier, ami de Montpensier, et Tizio, à contrecœur, tâchait de le distraire, lui montrant, après souper, les beaux codici de la libreria, lui en faisant admirer les scènes richement peintes et enluminées. Autour de la table, de grossiers gentilshommes bretons[1]l’interpellent : « Et dans lequel de ces livres voit-on le portrait de la p…. n du Saint-Père ? » Et les voilà racontant en termes crus la capture de la Giulia et riant à pleine gorge, au nez du pauvre prêtre scandalisé.

Quand il apprit l’aventure de Madame Giulia, le cardinal, sachant que son maître ne pouvait vivre sans elle, put immédiatement préjuger quelle fureur allait s’emparer de lui. Il prévoyait aussi quel coup lui porterait bientôt l’arrivée désormais certaine du Roi à Rome, et les alternatives d’angoisse et de rage par lesquelles devait passer le Borgia. La complexion sanguine du Pape allait-elle résister à ces colères continues ? Le Roi le ferait-il déposer ? L’un ou l’autre de ces deux cas semblait probable ; et, dans l’un comme dans l’autre, le cardinal voyait se fermer devant lui les voies au trône pontifical.

Les temps, décidément, étaient bien durs à la politique des Piccolomini !


VIII. — L’ENTRÉE DU ROI DE FRANCE A SIENNE. — L’AUDIENCE

Pendant que le cardinal passait de mélancoliques journées dans sa retraite de l’Observance, en face de lui, à Sienne, on vivait dans une agitation fébrile : tous les services gouvernementaux du « Comune » étaient suspendus, la « Balia » avait, dès le 6 novembre, donné congé à tous les offices, car il fallait que chacun pût vaquer à cette lourde servitude du logement et de la subsistance des hordes qui se renouvelaient chaque jour.

  1. Tizio dit « bretons, » mais ce sont probablement des Écossais, dont un grand nombre se trouvait dans les troupes à cheval, indépendamment de la garde royale qui en était composée.