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Lenormant d’Étioles, un procureur dont les honoraires n’avaient pu être soldés. Faire perdre de l’argent à un procureur, voilà, certes, qui n’était pas banal. Ducrest ne laissait en mourant que ses hardes et de nombreux papiers, pièces de procédure et mémoires de créanciers.

Ce diable d’homme, chimérique et débrouillard, robuste, plein d’entrain, était ce qu’on appelle un joyeux compagnon. Il aimait le plaisir, avait la conscience facile ; mais quoi ! était-il en son siècle une exception ? Avec des dons heureux, un esprit plaisant, une intelligence curieuse, il manquait de sens pratique ou plus simplement de sens moral. Né riche, il se fût tiré d’affaire, et eût laissé le renom d’un aimable et galant homme, quoique prodigue. Sans doute, ses opérations financières ne furent pas toujours correctes, et quelques-uns de ses expédiens ingénieux seraient durement qualifiés par notre vertueuse époque. Le XVIIIe siècle et même le XVIIe avaient plus de bonhomie. Qu’on se souvienne de ce fou de Pomenars que prisait tant Mme de Sévigné. Entre autres industries répréhensibles, il se livrait à la fabrication de la fausse monnaie, et il subissait procès et condamnations le plus joyeusement du monde. « Pour peu qu’il lui survienne encore quelques procès criminels, il mourra de joie, » écrit Mme de Sévigné, sans songer à se scandaliser. Soyons indulgens au pauvre Ducrest. Il n’eut point toutes les vertus, et les exemples qu’il donna à sa fille ne furent point de nature à être cités dans les livres de morale qu’elle devait écrire plus tard ; peut-être ne développèrent-ils point en elle des principes de conduite inébranlables, — hormis celui de parvenir. Mais il ne fut pas un méchant homme, et il mérite surtout d’être plaint, pour avoir si mal réussi dans sa course au plaisir.


II

César Ducrest avait bien d’autres soucis en tête que de diriger la fille qui lui était née en 1746. Il ne s’occupa d’elle que pour l’accoutumer à élever des souris, et à toucher sans se récrier araignées, grenouilles et crapauds. C’est là, on en conviendra, une éducation au moins rudimentaire. Pour tout le reste, il s’en remit à sa femme, qui elle-même se déchargea sur une jeune institutrice de dix-sept ans, Mlle de Mars, parfaitement ignorante et inexpérimentée : « Mon père, dit Mme de Genlis, ne se