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n’étaient point faites pour leur jeune regard. Ce ne sont pas seulement les Mémoires de Marmontel ou de tel autre contemporain qui nous remettent sous les yeux ces existences brillantes, cette corruption élégante et légère. Les Fragonard, les Lancret, les Greuze, et surtout les scènes équivoques ou libertines, représentées par la gravure, sont toute une évocation. Félicité Ducrest, ingénue déjà si éveillée, si curieuse, ne personnifie-t-elle pas en vérité ces fillettes de Greuze, étonnées encore de ce qu’elles viennent d’apprendre, et dont on ne sait au juste à quoi va leur regret, tant il reste, sur leur joli visage, et dans leurs grands yeux, dans la moue enfantine de leurs lèvres, d’attrait pour la faute ou l’étourderie qu’elles viennent de commettre. Leurs petites figures piquantes et mutines, ce mélange inquiétant d’innocence et de rouerie me semble peindre notre jeune héroïne « intéressante » et sensible. N’est-ce pas un joli sujet d’estampe dans le goût du siècle que suggèrent ces quelques lignes de Mme de Genlis : « M. de La Popelinière était enchanté de mes petits talens ; il disait souvent en me regardant et en poussant un profond soupir : « Quel dommage qu’elle n’ait que treize ans ! » Je compris fort bien à la fin ce mot si souvent répété, et je fus fâchée moi-même de n’avoir pas trois ou quatre ans de plus, car je l’admirais tant que j’aurais été charmée de l’épouser. » Qui ne voit l’aimable vieillard contemplant avec un attendrissement à demi souriant et attristé, ce frais minois de treize ans et ces grâces en fleur ; et la coquetterie naïve de l’enfant qui ne sait pas encore, et cependant devine ? La Popelinière avait alors soixante-cinq ans, mais, au dire de Mme de Genlis, il n’en paraissait pas plus de cinquante. Quoi qu’il en soit, l’enfant est sous le charme. Les Mémoires, où tant de choses sont dissimulées, nous le révèlent : « Je me passionnai pour M. de La Popelinière, qui donnait des fêtes d’un si beau genre. Je le regardais avec admiration… J’aurais préféré à tout autre M. de La Popelinière, un fermier général et un vieillard ; mais ce vieillard avait subjugué mon admiration. » Marmontel, qui fut longtemps le commensal de l’opulent financier, vante le ton, les manières, et« l’air de civilité libre et simple » de son hôte. « Personne n’était plus aimable que lui quand il voulait plaire, » dit-il. Ses travers et son excessive magnificence ne prêtaient à rire qu’à ceux qui les voyaient du dehors. Dans l’intimité de sa maison les procédés obligeans et la bonne grâce effaçaient ses légers ridicules.