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aéroplane de Cherbourg à Portsmouth pour vérifier la présence de l’escadre anglaise dans ce dernier port, et rapporter ensuite ce renseignement aux autorités maritimes de l’arsenal français. Admettons que la vitesse de la machine volante soit de 50 nœuds (90 kilomètres à l’heure). La distance à parcourir étant de 70 milles (130 kilomètres), l’engin fera la traversée en une heure et demie environ. Mais supposons qu’au sortir de Cherbourg un vent de 10 mètres à la seconde, soit 20 nœuds, vent de force moyenne, se lève à l’Ouest. Emporté dans l’est par ce vent à la vitesse de 20 nœuds, et sans s’en douter, l’aviateur, gouvernant au compas, volera directement au nord, dans la direction de Portsmouth. Après 1 heure et demie, il se trouvera bien sur les côtes anglaises, mais à 30 milles (55 kilomètres) dans l’est de Portsmouth. Il manquera donc son atterrissage et atteindra, au lieu de l’arsenal ennemi, un point inconnu de la terre britannique. S’il a une parfaite connaissance de la côte, il pourra reconnaître son erreur et remettre le cap à l’Ouest, jusqu’à ce qu’il plane sur Portsmouth. Mais, dans ces conditions, au lieu d’une navigation régulière et sûre, l’aviateur sera amené à faire un véritable voyage de découvertes. Que si l’engin parvient, après une longue recherche, à planer sur Portsmouth et à recueillir les renseignemens demandés, au retour il se retrouvera en présence des mêmes difficultés, augmentées même du fait que Cherbourg est à l’extrémité d’une presqu’île et qu’une déviation latérale de 50 ou 60 kilomètres lui fera fatalement manquer le Cotentin. En résumé, son voyage, au lieu de présenter des garanties de succès analogues à celles que présente une traversée ordinaire, ne pourra réussir qu’avec le concours du hasard et de la chance. Or, à la guerre, il ne faut pas compter sur la chance, mais sur la malchance. Donc 9 fois sur 10, l’aéroplane ne remplira pas sa mission et errera sur la mer comme un aveugle, jusqu’à ce que le manque d’essence le fasse tomber.

Conclusion : à l’heure actuelle, l’aéroplane ne peut être d’aucun service pour une guerre navale. On ne doit prévoir son emploi qu’entre deux points suffisamment rapprochés pour que l’aviateur puisse voir en même temps le point de départ et le point d’arrivée. Dans ces conditions, l’aéroplane marin ne peut pas être considéré comme un engin autonome : c’est, tout simplement, un cerf-volant intelligent lié à son point d’attaché par la portée limitée de sa propre vue, et qu’un obscurcissement