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pour ma nouvelle patrie que je dois idolâtrer, puisque ma patrie naturelle, convertie en marâtre pour moi et aveuglée pour elle-même, me repousse. Je pars, mais je recevrai avec enthousiasme les ordres de Votre Excellence à Constantinople ou en Syrie.

Agréez, etc..

Signé : Général Badia.

Paris, le 4 janvier 1818.


Deux jours après cette lettre, Badia rédigeait ses dernières volontés. Son testament commençait par l’invocation suivante que n’eût pas désavouée un vrai musulman : « Au nom du Dieu tout-puissant, éternel, immense, miséricordieux. » Il recommandait surtout aux siens de protéger son plus jeune fils âgé de dix ans et estropié de naissance. Ces dispositions prises, il quitta Paris en février 1818, se rendant à Constantinople. Il avait modifié son nom arabe et se faisait appeler El-Hadj Ali Abou Othman, c’est-à-dire : le pèlerin Ali, père d’Othman. Le pèlerinage de La Mecque, qu’il avait accompli en 1807, lui donnait droit au premier qualificatif ; il avait adopté le second pour les besoins de la cause : il eût été, en effet, aussi invraisemblable que contraire à la loi islamique qu’un musulman de son âge, — il avait cinquante ans, — fût resté célibataire. L’existence de ce fils Othman, sur laquelle nous aurons à revenir, était une nouvelle fiction.


V

Le 21 mars 1818, El-Hadj Ali se présente à Constantinople au marquis de Rivière, notre ambassadeur auprès de la Porte ; on lui fait le meilleur accueil ; le marquis de Rivière et le vicomte de Marcellus, secrétaire d’ambassade, se montrent très intéressés par les récits du voyageur. « Il m’a dit, écrit Rivière au duc de Richelieu, qu’il vous avait vu, m’a prouvé qu’il méritait d’être entendu pour le présent et pour l’avenir, et m’a fait regretter de n’avoir pas eu par lui un mot de V. E. Il m’a dit qu’il ne correspondait qu’avec le comte Molé et le comte Decazes[1]. »

On voit par cette lettre que le duc de Richelieu était resté jusqu’au bout étranger à la mission confiée à Badia et n’avait pas voulu l’accréditer auprès de notre ambassade. Le marquis de Rivière, qui n’était pas au courant de l’attitude adoptée par son

  1. Le comte Decazes était alors ministre de la police.