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solennels ? la tradition antique nous permet de l’entrevoir quand elle dit que les cultes de Cérès et de Flore furent établis à la suite de disettes. M. Merlin pense que les marchands de blés, dont l’intervention était plus que jamais nécessaire pour sauver la ville de la famine, profitèrent de l’insuffisance des récoltes pour se faire donner, à eux et à leurs dieux, des faveurs très prisées. Cela est fort vraisemblable ; mais peut-être la dévotion des Romains envers les dieux exotiques a-t-elle été plus spontanée. D’eux-mêmes, avec cette soif de secours célestes qui les a toujours possédés, avec cette peur d’oublier, en la personne d’une divinité même peu connue, un protecteur possible, ils ont dû s’élancer vers cette Cérès, cette Flore, ce Mercure, dont ils entendaient les étrangers vanter la puissance, et dont les noms devaient apparaître à leurs esprits frustes comme synonymes de richesse et de fécondité. — De même, la Bonne Déesse étant à l’origine une « guérisseuse, » proche parente d’Hygie et d’Esculape, il est fort probable que l’on commença de l’adorer à Rome officiellement à la suite d’une des nombreuses épidémies qui ravagèrent la cité vers la fin du Ve siècle. Et, d’une façon générale, il en fut des dieux étrangers comme des hommes qui venaient en propager la religion : les uns et les autres s’imposèrent à la confiance des Romains par les services qu’ils leurs rendirent, et à leur imagination par le prestige qu’ils tenaient de leur origine lointaine.

Mais, qu’il s’agisse des cultes introduits par les marchands, ou de ceux des peuples vaincus, tous ceux dont l’Aventin vit s’élever les sanctuaires gardèrent, très nettement, un caractère extra-romain. Les divinités prirent des noms latins, cela est vrai : Cérès et Mercure au lieu de Dèmèter et d’Hermès. Mais fut-ce, comme le croit M. Merlin, une mesure d’assimilation expressément voulue par le sénat ? Nous y verrions plutôt un effet de cette habitude instinctive qui poussait les anciens à revêtir de vocables déjà connus les réalités exotiques : qu’on se rappelle comment César a latinisé les noms de l’Olympe gaulois. Par ailleurs, rien ne montre les cultes de l’Aventin identifiés avec ceux de la Rome palatine. Bien loin de là. On n’ignore pas que, pour les dieux comme pour les hommes, l’Etat romain avait deux juridictions distinctes, applicables l’une aux membres de la cité, l’autre aux étrangers : le préteur pérégripi à côté du préteur urbain, les décemvirs des sacrifices à côté des pontifes.