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pratiquement, la rareté relative des exécutions de ses œuvres a limité leur connaissance à ce choix minimum d’anthologie, sur quoi il est convenu qu’on doit « se faire une idée » d’un poète ou d’un artiste. »

Ainsi l’immortalité, pour Haydn, n’est plus guère qu’une immortalité de bibliothèque (le mot est, je crois, de M. Balfour), la seule dont les plus purs chefs-d’œuvre de la musique finissent trop souvent par vivre, silencieux. Nos concerts, qui devraient être des musées, ne sont pour la plupart que des « expositions. » Ils ressemblent au « Salon » plus qu’au Louvre. Les symphonies de Haydn, même les plus grandes, y tiennent une petite place. Haydn a perdu la faveur de la foule, du peuple, de ce peuple dont il était, et qu’il a tant aimé. L’élite aussi le connaît à peine et les princes de notre jeunesse, tout bas, doivent le mépriser. Au surplus, il est bien capable de le leur rendre. Sur le programme d’un concert auquel j’assistais en Italie, cet été, Haydn était le voisin de M. Debussy. J’ai cru qu’il allait l’écraser. Mais au moins, direz-vous, ses quatuors ? Oh ! le quatuor, c’est de la musique de chambre, et dans notre siècle, qui se répand et se disperse de plus en plus au dehors, le seul mot de chambre, de retraite, d’asile, sent terriblement le renfermé. Haydn enfin, au goût du jour, ne semble plus assez jeune et ne paraît pas encore assez vieux. Il n’a pour lui ni les modernistes, ni les archéologues. Victime de notre ignorance, ou de notre ingratitude, il est de ceux dont le poète a dit, avec tristesse :


Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie,
Des plus chers, des plus beaux...


CAMILLE BELLAIGUE.